Le Sourire du Scribe, 12

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 12

Comme convenu, nous nous arrêtâmes au garage, qui ouvrait tout juste, et dont le patron m’assura qu’il enverrait la dépanneuse chercher ma voiture dès que son fils en aurait réparé le treuil. Cet animal l’avait bousillé, narra-t-il, en voulant dégager d’un fossé un tracteur dont il n’avait pas vu qu’une des roues avant était coincée par des racines grosses comme ça. Je le rassurai, disant que la R11 ne gênait pas la circulation et que les gendarmes ne m’avaient imposé aucun délai précis pour la tirer de là, et le priai d’examiner le vélo de mademoiselle, dont les feux n’éclairaient pas. Il ne manqua pas d’objecter que lui, les vélos, mais regarda quand même, et fut catégorique : c’était l’usure. Il gagea que la machine avait toute sa vie dormi à l’humidité, ce que confirma sa propriétaire, et, comme nous craignions pour sa compagne d’appentis, dont Estelle songea qu’elle ne servait pas davantage, nous constatâmes avec étonnement que la dynamo en était très récente, ainsi d’ailleurs que la chaîne.

Cette nouvelle énigme avait de quoi me passionner, mais je dus en différer l’examen. Car une pétarade vrilla l’air matinal, annonçant l’arrivée d’une antique fourgonnette et qui puait. Elle pua soigneusement tout le temps qu’elle resta là, le diesel continuant de tourner, sans doute pour s’éviter un laborieux redémarrage.

Jacques en descendit et s’approcha de nous.

– Re-bonjour ! lança-t-il. Un problème de bicyclette ?

– Exactement, répondis-je. L’éclairage de celle-ci ne fonctionne pas.

– Je l’ai remarqué tout à l’heure ; c’est du reste pour ça que j’ai dû prendre celle de mon beau-père. L’usure, sans doute.

– La dynamo était-elle déjà embrayée ?

La question le surprit.

– Non ; c’est moi qui l’ai mise en marche. Sans succès, comme je vous l’ai dit.

– Et vous n’y avez plus touché.

– Non. J’aurais dû ?

Je m’en voulus de mon insistance.

– Moi, reprit-il, je viens faire réparer un pneu.

Et il nous raconta que la veille au soir, quelques kilomètres avant Les Arsins, il avait eu une crevaison. Mais impossible de démonter la roue, et pas une voiture. Il était allé jusqu’à la ferme Ricoud, où on l’avait insulté à travers les volets. Le tout sous une pluie battante ! Heureusement, les Mouzon étaient arrivés et Daniel lui avait prêté main forte.

Le garagiste, qui l’avait écouté d’un air goguenard, lui reprocha de ne pas posséder de croisillon, ajoutant qu’il était en mesure de lui en vendre un. Et, décidément d’humeur taquine, il se permit de lui rappeler qu’il vendait aussi des automobiles, pour le cas où il lui prendrait la fantaisie de se débarrasser de certaine épave. Mais il vit nos mines sombres ; son intuition lui fit demander à Estelle des nouvelles de ses parents. Jacques vola au secours de sa belle-sœur et prit le parti de tout dire, terminant par cette affirmation discutable mais respectueuse des convenances :

– Le coupable est certainement un rôdeur.

– Merde ! dit le garagiste. C’est donc ça que monsieur me parlait des gendarmes. Et que je viens d’en voir passer. Il fallait me le dire tout de suite, mademoiselle, je ne savais pas. Sincères condoléances. Ce pauvre monsieur Dumuids ! Mes condoléances aussi à madame Dumuids. Et à vous aussi, monsieur Jacques.

Quand ce fut mon tour, il me serra la main sans rien dire.

Puis, se tournant de nouveau vers Estelle :

– Votre pauvre papa !

Et il pleurait presque.

 

(À suivre.)

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