Le Sourire du Scribe, 62

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 62

 

9.

 

Décidément remis de son hépatite, Bouyou introduisit aux Sycomores une savoureuse innovation. Le matin, il déjeunait d’œufs brouillés, de saucisses, et de ce que les Américains appellent french toasts, des tranches de pain de mie frais façon pain perdu. Ayant même rapporté de son séjour aux États-Unis la recette des pancakes, il se promit de nous en confectionner. Ne savait-il pas à Clermont une épicerie où se procurer du vrai faux sirop d’érable ?

– Le vrai faux est bien plus authentiquement américain que le vrai.

Daniel fit observer que l’érable et le sycomore étaient apparentés. « Vive les pancakes ! » cria Piéchaud.

Bref, dès le premier jour, nous fûmes réveillés par des odeurs de cuisine. Bouyou, vêtu d’un costume gris impeccable, officiait.

– Pour ce matin, il faudra vous passer de saucisses, dit-il à Georges ahuri. C’était fermé.

D’autorité, il avait préparé des œufs brouillés pour tout le monde. Nous craignions la réaction de Claire, qui les digérait si mal. Elle en reprit. En revanche, elle bouda les french toasts :

– Du coup, je n’ai pas envie de sucré.

Bouyou avait en outre acheté L’Avenir, ignorant que les Dumuids étaient abonnés. Le journal passa de mains en mains. Rien sur l’affaire.

– Tant mieux, dit Jacques, les journalistes finissaient par raconter n’importe quoi.

Je l’approuvai. De fait, une âme charitable ayant communiqué ce détail à Frérot, la présence de taches de sang sur la statue avait inspiré au folliculaire un article poignant de sottise. Je tremblais qu’il n’apprît mon autre identité ; il était capable de me mettre le crime sur le dos.

– À propos, demandai-je au poète, vous connaissez sûrement Pierre-Marc Anglade ?

– C’est un grand ami de Christian. Pourquoi ?

– J’aimerais le rencontrer.

– Rien de plus facile. Christian est en vacances, mais nous pourrons nous recommander de lui. Je pensais justement aller à Clermont ce matin. Accompagnez-moi.

Claire s’interposa :

– Et votre partie de pêche ?

– Nous avons renoncé, soupira Daniel. À cause de ton oncle ; nous ne voulions pas rater le petit déj’ à l’américaine.

– Dis plutôt que vous êtes de sacrés flemmards.

Il éclata de rire :

– C’est bien la première fois qu’on m’accuse de paresse parce que je ne vais pas à la pêche !

– Nous pourrions prendre ma voiture, dis-je à Piéchaud.

– Vous vous méfiez de mon tank ? Il roule bien, vous savez. Pas un pépin en huit ans.

Soudain, son visage se métamorphosa. Un tic nerveux lui tordit la bouche ; il jeta le journal sur la nappe, et plongea sa tête dans ses mains.

Je me levai, comme pour lui porter secours, mais Ursule me retint.

– Laissez-le, me souffla-t-elle.

Stupéfait, je vis Jacques quitter la table et, d’un pas chancelant, gagner le couloir, tandis que Georges, qui était allé prendre le frais sur la terrasse, rentrait.

– Il s’en est aperçu ? nous demanda-t-il à voix basse. Géniale, l’idée du canard.

 

(À suivre.)

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