Le Sourire du Scribe, 75

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 75

 

11.

 

– C’est bon ! C’est bon !

Le vacarme cessa.

J’ouvris les yeux et vis une blouse blanche, puis un gyrophare. À nouveau la scie électrique fit entendre son chant obstiné.

– C’est bon ! cria encore la voix.

Je dressai la tête, et retombai aussitôt. Mais j’avais eu le temps d’apercevoir, étendues sur deux civières parallèles, Estelle et Nathalie.

Une face blafarde barrée d’une moustache s’encadra dans mon champ de vision.

– Bravo, on se réveille ! Ça va, le jeune homme ?

Il n’était guère plus âgé que moi.

– J’ai mal à l’épaule.

– Fracture de la clavicule. Vous auriez tort de vous plaindre. Regardez.

Il souleva la tête de mon brancard :

– Vous reconnaissez votre voiture ?

– À part la plaque...

Rassuré par son air badin, je demandai :

– Et ma passagère ?

– Elle a eu presque autant de chance que vous.

– Presque ?

– Un bras cassé, quelques côtes fêlées, des veines sectionnées. Elle a perdu beaucoup de sang, et vu qu’elle est d’un groupe rare, on a eu peur. Mais le hasard fait bien les choses : une dame du même groupe était dans le car. Elle, elle n’a rien.

– Il y a... des morts ?

– On ne sait pas encore. On est en train de désincarcérer les victimes.

Ce hideux néologisme aiguisa ma douleur.

– Et le chauffeur de la Mercedes ?

– Quelle Mercedes ?

Le salaud ! Il avait réussi à s’enfuir. Mais les témoins ne manqueraient pas.

– Stop ! C’est bon !

– J’ai mal, dis-je.

– Ça va passer. On vous a fait une piqûre. Tiens, vous avez de la visite.

Bouyou, l’air sombre, s’était accroupi près de moi.

– Alors, Racine, on joue les cow-boys ? C’est Baroncle qui va être content. Sacré débile, va !

J’allais lui répondre, mais ma voix se brisa.

– Il est encore sous le choc, dit le moustachu.

– Moi aussi, dit Bouyou.

Et, s’étant relevé d’une brusque détente, il s’éloigna.

 

*    *    * 

 

Nous fûmes transportés à l’hôpital de Clermont. Allongé sur mon brancard, je ne pus voir la BX des Mouzon garée devant le pavillon des urgences.

Ursule venait en effet d’y conduire Jacques.

Il avait absorbé une telle dose de somnifères qu’il parut d’abord impossible de le sauver. Mais, au fil des heures, l’espoir renaquit, et le lendemain, vers midi, on était assuré qu’il s’en tirerait. Les médecins n’excluaient pas qu’il dût conserver des séquelles de cette seconde tentative de suicide, même si la première semblait l’avoir en quelque sorte endurci. Seule certitude, ç’avait été à cinq minutes près, et Ursule avait pris une excellente initiative en faisant office d’ambulancière.

Claire s’y était opposée, parlant d’utiliser le téléphone de la mère Lethuillier. Mais les circonstances expliquaient assez son manque de lucidité. C’était pourtant elle qui avait flairé le danger. Surprise de ne pas trouver ses médicaments, elle avait fini par frapper à la porte de son beau-frère, qui lui en volait à l’occasion. N’obtenant pas de réponse, et constatant que la targette était tirée, elle avait alerté Ursule. Les deux femmes avaient alors décidé d’enfoncer la porte, dont le verrou, heureusement, ne valait pas celui de feu Dumuids. Elles avaient découvert Jacques étendu sur son lit et dormant d’un sommeil anormal ; détail assez sinistre pour que sa belle-sœur ne voulût pas me l’épargner, il avait mouillé ses draps, la vessie s’étant relâchée.

En l’absence de Georges et de Bouyou, et ne pouvant compter sur Claire encore trop faible, Ursule avait fait preuve d’un remarquable sang-froid.

 

(À suivre.)

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