Le Sourire du Scribe, 82

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 82

– Bon. Fin du premier chapitre. D’autre part, quelqu’un, aux Sycomores, torturait Dumuids à petit feu. En le faisant chanter. Pour le plaisir, non pour l’argent. Il ne lui réclamait que de petites sommes, de temps en temps. Deux mille francs par ci, par là. Un délicat. Dumuids ne connaissait pas son bourreau, qui prenait bien soin de ne pas se découvrir, mais il lui obéissait, par peur du scandale.

– Un maître-chanteur ? Je vois. Le mystérieux barbu, hein ?

– Ça dépend duquel on parle. Il y a deux barbus. Trois, en comptant le parent de Corbin, qui est en dehors de tout ça.

– Tu penses au petit Lethuillier, ce minus ?

– Tiens, c’est vrai, je l’avais oublié. Quinze pour toi.

Bouyou reposa brutalement son verre vide.

– Sois plus clair, ou je me fâche. Qui faisait chanter Raoul ? Qui savait ?

– Personne, peut-être.

– Bon, je me fâche. Driss ! deux demis ; c’est monsieur qui régale.

– Calme-toi. Je réponds simplement à tes questions. J’ignore ce que savait le maître-chanteur concernant le meurtre de la petite Ricoud. Ce dont je suis sûr, c’est qu’il était au courant des relations de Dumuids avec la petite Moineau.

– Quoi ?

Le temps que Driss nous resservît, je soutins sans plaisir le regard effaré de Bouyou, puis :

– Dumuids était un grand malade. Le meurtre de Rachel ne l’a pas calmé. Delphine Moineau, devenue muette à la suite, j’imagine, d’un choc psychologique, comme a pu lui en faire subir son père officiel, alcoolique au dernier degré, ou Dumuids lui-même, qui sait ? était une proie facile et régulière. Les Dumuids pensionnaient assez grassement la mère Moineau pour qu’elle n’aille pas se plaindre, à supposer qu’elle se soit rendu compte de quelque chose – quand Dumuids rendait visite à sa fille, le samedi soir, elle devait être fin saoule.

– Et la petite, évidemment, ne risquait pas de parler. Mais il y a d’autres moyens de s’exprimer...

– Ce n’est pas si simple, tu le sais bien. Je crois qu’elle lui était totalement soumise. Il a profité d’elle pendant plusieurs années, au fil desquelles il a perfectionné son dispositif. Il s’enfermait dans son bureau, mettait en marche le gros magnétophone à bandes, ainsi que le plus petit, sur lequel il passait l’enregistrement du bruit de sa machine à écrire. Il s’affublait d’un vieil imperméable, d’une casquette et d’une fausse barbe, et chaussait des galoches. Non seulement ce déguisement le rendait méconnaissable, mais il savait qu’il y avait à Montperrat un cycliste barbu, parent de Corbin. Il n’était pas bête, le salaud ! Il sortait par la porte-fenêtre, décrochait son vélo, franchissait le portillon, faisait le tour de la propriété en longeant la haie, et débouchait sur la route au-delà des Sycomores. Puis il repartait vers Les Arsins. La mère Lethuillier, en le voyant passer, s’imaginait qu’il venait de Montperrat.

– Pourquoi se montrer, alors qu’il pouvait rejoindre le centre du village par le bois ?

– Trop risqué. La mère Fourcade guettait, elle aussi. Un cycliste préférant à la route ce sentier cahoteux aurait éveillé ses soupçons ; peut-être même aurait-elle compris qu’il venait des Sycomores. Bref, il assouvissait son ignoble penchant, et revenait par le même chemin qu’à l’aller.

– Voilà ce que le maître chanteur menaçait de révéler. Quant à Georges...

– Il ne se doutait de rien. Car alors, je parie qu’après avoir fait la morale à son vieux copain, il l’aurait aidé à se débarrasser de l’ennemi. Et d’abord à l’identifier.

 

(À suivre.)

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