Le Sourire du Scribe, 17

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 17

Le journal était ouvert à la page Justice. Mes yeux tombèrent sur un article relatif aux pouvoirs des juges d’instruction. Je relevai la tête :

– On ne pourrait pas allumer le lampadaire ?

Rohon prit un air fin.

– Il faudrait d’abord le brancher.

Puis, à la cantonade :

– Qui d’entre vous a débranché ce lampadaire ? Personne, vraiment ? Voilà une chose que je ne m’explique pas.

On verra qu’il soulignait là un fait essentiel.

– À moins, ajouta-t-il, que l’assassin ne se soit empêtré dans le fil.

– Et alors ? soupira Georges. Nous perdons du temps à des futilités.

Rohon se fâcha :

– Rien n’est futile dans une affaire de ce genre, monsieur Hennequin.

Il se tourna vers Ursule.

– Autre question : votre défunt mari, madame, ne mettait pas de lunettes pour lire ?

– Non. Depuis plusieurs années il s’en passait. Sa myopie s’était compensée avec l’âge.

Pendant que le juge inscrivait quelques mots sur son calepin, je me fis la réflexion que l’infirmité de Dumuids ne s’était pas transmise à ses filles ; mais, observant plus attentivement les yeux turquoise de Claire, je finis par me demander si leur incroyable couleur n’était pas un artifice : elle portait, je m’en apercevais maintenant, des lentilles de contact. Et je savais qu’il en existait de teintées.

Rohon avait relevé la tête. Son expression me frappa. Il s’était figé, semblait écouter un bruit lointain. Quand il reprit la parole, je sursautai.

– Encore une futilité, siffla-t-il. Quelqu’un d’entre vous s’est-il récemment servi du lavabo qui se trouve derrière moi ? Tiens ? Personne ?

– Pourquoi ? demanda Claire.

– Vous allez comprendre. Puis-je vous prier de rester silencieux pendant quelques secondes ?

Trois nous suffirent pour nous rendre compte que le robinet était mal fermé.

– Exaspérant, non ? Surtout pour un homme jaloux de sa tranquillité, et mélomane de surcroît.

– Justement, intervins-je, le bruit devait être couvert par la musique.

– Et pendant les silences ? Mais la musique était à fort volume, je vous l’accorde.

– Attendez, dit Claire : ce robinet goutte depuis le crime ? Bonjour la facture !

Le juge contemplait l’énorme magnétophone.

– Excellent appareil. Celui-ci aussi, quoique moins puissant, ajouta-t-il en désignant un petit Uher, portable. Nous l’avons trouvé dans un tiroir. Vous le reconnaissez, madame ?

– Mon mari s’en servait pour enregistrer les chants des oiseaux.

– Les chants des oiseaux, reprit-il en fixant sur elle des yeux candides, un étrange sourire aux lèvres.

Il tendit le bras derrière le paravent, serra le robinet, puis :

– Un homme à l’oreille aussi exigeante et raffinée n’aurait pas laissé goutter ce robinet. C’est donc l’assassin qui y a touché le dernier.

– Pardon, rectifiai-je, c’est vous.

 

(À suivre.)

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