Le Sourire du Scribe, 18

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 18

Il n’eut pas le temps de me reprocher ce trait d’esprit. Un bruit assourdissant retentit dans son dos. Georges venait de frapper des deux poings sur les touches du clavecin.

– Mais qu’est-ce que c’est que tout ce cirque ? fulmina-t-il. L’assassin a fait un brin de toilette ; et après ? Vous vous triturez la cervelle pour des broutilles. Trouvez-nous de vrais indices, qui permettent de coincer le coupable ! Si encore vous aviez cherché à relever des empreintes sur ce robinet ! Mais non : vous embrouillez tout avec vos petits doigts, et vous jouez les Sherlock Holmes ! Je vais vous en donner, des indices, moi. Vous avez vu la main du Scribe ?

Les enquêteurs y avaient en effet relevé des traces de sang. C’était celui de Dumuids. Peu disposé à faire le jeu de l’assassin, Rohon nous avait tu – comme aux journalistes – cet enjolivement. Mais Georges le connaissait, et, par deux fois, l’avait évoqué devant moi. Je comprenais enfin ses allusions. Surtout, me remémorant mon rêve de la première nuit, j’éprouvai le même malaise qu’en découvrant les deux cadavres. Et les grotesques mannequins confectionnés par les gendarmes ne pouvaient que renforcer l’impression que le Scribe était vivant.

– Le sang de Raoul, continua Georges à la manière d’un guide de musée. Pourquoi ? Pourquoi sur cette statue ? Ce n’est quand même pas elle qui a tué ! D’ailleurs monsieur le juge va nous le prouver, hein, monsieur le juge ?

– J’y arrive, dit Rohon, étonnamment calme.

Il pivota vers madame Dumuids :

– Votre mari possédait peut-être un coupe-papier ?

– Oui. Une relique. Son père l’avait taillé dans une douille d’obus.

– On n’a rien retrouvé de tel dans ce bureau. J’imagine qu’il s’agit d’un objet assez pointu ?

– Assez.

– Pardonnez-moi cette question brutale, madame, mais pensez-vous que l’assassin ait pu s’en servir d’arme ?

Je vis la main d’Estelle se crisper sur l’avant-bras de sa mère. La veuve répondit d’une voix posée :

– Sans aucun doute.

– Par ailleurs... Je m’adresse à vous, madame, mais aussi au vieil ami, entendez : à l’ami fidèle.

Il s’était tourné vers Georges, qui, toujours assis au clavecin, contemplait ostensiblement le vasistas.

– Monsieur Dumuids avait appartenu à la Résistance. Il devait bien posséder une arme à feu ? Pas forcément déclarée ? Éventuellement prise à l’ennemi ?

Ça y est, me dis-je. Le Luger.

Ursule demeura impassible, mais Georges s’agita, et répondit le premier :

– Pas la moindre. Du reste, je ne comprends pas votre question ; Raoul, que je sache, a été étranglé.

– C’est que, monsieur Hennequin, une arme de guerre qui se trouvait dans cette propriété a disparu.

Des regards s’échangèrent. Il me sembla que celui de Georges cherchait le mien. Je préférai fixer Rohon.

Le juge referma son calepin.

– Je vous remercie, madame, vous et vos proches. Croyez que je déplore d’avoir ravivé votre douleur.

Il salua, les gendarmes, plus militairement, avec lui, et ils sortirent.

 

*    *    *

 

(À suivre.)

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