Le Sourire du Scribe, 44

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 44

Nous dépassâmes l’angle que formait la haie. Instinctivement, je tournai la tête à gauche, dans l’axe du sentier, et Nathalie aussi. Nous vîmes Estelle franchir le portillon en poussant son vélo. Elle nous aperçut, mais se mit en selle et prit la direction du bois. Comme nous avions fait un matin, le lendemain du crime.

– Estelle, c’est bien ça ? dit Nathalie. Elle a l’air gentille.

– Elle l’est. Et plutôt mignonne.

– Tu te trompes ; elle est belle. En tout cas, toi, tu lui plais beaucoup.

Je me sentis sourire irrépressiblement :

– Pur fantasme.

– Mon pauvre Louis, tu ne comprendras donc jamais rien aux femmes ! Cela dit, je sais que tu ne te fais pas d’illusions ; tu es évidemment trop vieux pour elle.

Cette affirmation me révolta. Je faillis lui rappeler que je n’avais pas trente ans. Mais, profitant de son avantage, elle abordait le sujet qui lui importait le plus :

– Tu aurais pu t’expliquer franchement, l’autre jour, au téléphone. Car tu avais déjà décidé de rompre, non ?

– Je pensais que c’était clair pour toi aussi.

– Tu pensais ! Tu as effectivement tendance à penser au lieu d’agir. C’était sans doute trop te demander que d’affronter tes responsabilités. Voilà trois jours, tu entends, que je ne dors pas. Regarde la tête que j’ai ! Alors qu’il m’aurait suffi d’un mot.

– D’un seul ?

– J’aurais préféré ça au silence. Vois-tu, ce qui me fait le plus souffrir dans cette rupture, c’est ton manque de confiance en moi. Je compte donc si peu pour toi ? On se connaît, depuis le temps. Je ne suis pas une étrangère.

Ses yeux s’emplirent de larmes, qu’elle sécha maladroitement.

Au fond de moi-même, j’admis qu’elle avait raison. J’en étais réduit à me chercher des circonstances atténuantes, preuve que je reconnaissais mon erreur.

Je voulus me montrer ferme :

– Tu oublies que nous étions d’accord pour nous séparer pendant deux semaines et faire le point chacun de notre côté. Dès ce moment-là, nous savions à quoi nous en tenir ; ose dire le contraire. Mes responsabilités, je les ai prises. Je suis parti, j’ai réfléchi. J’ai pesé le pour et le contre, en toute conscience, sans négliger un seul instant ce que tu pourrais éprouver. Tu n’as pas le droit de prétendre que tu ne comptes pas pour moi. Je n’ai pensé qu’à toi pendant quinze jours. Et je me suis décidé au dernier moment, sur la route du retour. Crois-moi, je n’étais pas particulièrement serein. Ce n’est peut-être pas un hasard si j’ai eu cet accident. Je ne jurerais pas que je ne t’aime plus, que je n’ai plus besoin de toi. Mais je ne me sens pas fait pour partager ta vie.

Elle s’arrêta, passa doucement ses bras autour de mon cou :

– Tout ça, tu ne pouvais vraiment pas me le dire plus tôt ?

Et, avec un sourire que je lui avais jamais vu :

– Moi aussi, j’ai décidé de rompre. Le soir où tu devais rentrer.

 

(À suivre.)

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