Le Sourire du Scribe, 45

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 45

Ses mains retombèrent lentement le long de ma poitrine. Elle recula, ses yeux plongés dans les miens.

– Maintenant tu es libre, dit-elle. Nous sommes libres tous les deux. Je m’en vais. J’espère que je ne t’ai pas trop retardé. Quand tu le pourras, et si tu le désires, viens me voir à Fontvielle, j’y serai jusqu’à la fin du mois, comme prévu. Ça me fera plaisir. J’ai encore des tas de choses à te dire.

– Moi aussi.

– On verra.

– Tu en doutes ?

– Je ne demande qu’à te croire.

– Mais tu n’as pas confiance en moi. Je pourrais te le reprocher.

– Ne plaisante pas. Pas maintenant.

Elle me prit la main :

– Au revoir.

– Tu veux rester là, sur le bord de la route ?

– Je vais faire du stop ; j’ai mes chances, tu sais.

J’avais la gorge nouée. Dans un suprême effort, je parvins à articuler :

– Tu as bien fait de venir. Merci.

C’était ma première grande rupture.

Pour cacher mes larmes, je me détournai rapidement. Puis je m’éloignai d’un pas automatique, guidé par de lourdes œillères. Quand enfin, n’y tenant plus, je regardai derrière moi, je vis Nathalie dans la même attitude où je l’avais laissée, à cette différence près qu’elle tendait à présent la main droite au-dessus de la route. Une voiture arrivait. Elle me dépassa, dépassa Nathalie, sans ralentir.

Je m’engouffrai dans la plus proche ruelle, un froid défilé sentant le champignon. À l’autre extrémité, le soleil me happa, et je longeai le bois jusqu’à l’endroit convenu.

 

*    *    *

 

Dix heures sonnaient au clocher des Arsins quand j’atteignis le parking. Je crus être le premier, mais, comme je m’avançais dans le bois, j’aperçus un peu plus loin le grimaçant qui me faisait signe de le rejoindre.

Sa gaieté me surprit.

– Quelle ponctualité ! Surtout, vous êtes venu.

– Ne vous réjouissez pas trop vite : je peux encore refuser.

– Mais non, voyons, dit-il avec ce sourire qui me donnait la chair de poule, si vous êtes là, c’est que vous voulez bien travailler pour moi. Je parierais même que vous avez déjà commencé. Mais marchons, éloignons-nous de ce sale bled.

Je lui emboîtai le pas.

– Que vous a-t-il fait ?

– Vous l’apprendrez un jour, si vraiment vous l’ignorez encore.

– Je vous le jure.

– Levez la main droite et dites : « Je le jure » ! Je blague, une fois de plus. Vous ne trouvez pas merveilleuse cette faculté qui nous permet de blaguer même quand nous n’en avons pas envie ?

Je pensai à Jacques, qui savait si bien dissimuler son chagrin derrière ce rideau-là.

– Tout le monde ne la possède pas, dis-je.

– Et vous ?

– Peut-être.

 

(À suivre.)

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Publié dans Le Sourire du Scribe

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