Le Sourire du Scribe, 88

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 88

Bouyou se renversa sur sa chaise, caressant du doigt le bord de la table.

– Que penses-tu de mon histoire ? le pressai-je.

– Oh ! moi, tu sais, je ne suis pas chargé de l’enquête. Que Rohon se démerde.

Ces paroles m’atteignirent comme un coup à l’estomac.

– Quoi ! Jacques est un type dangereux. Il ne s’arrêtera pas là. Moi, ma vie, j’y tiens.

– Et alors ? Il suffira d’avoir l’œil sur lui.

Une colère noire m’envahit, en même temps qu’un affreux soupçon. Bouyou complice, par esprit de famille ?

– Non mais tu es un homme, ou quoi ?

Des têtes se tournèrent dans notre direction. Bouyou éclata de rire, et se leva.

– Je ne devrais pas me marrer, mais c’est plus fort que moi. Je t’adore, Racine. Allez, on fonce. Driss, tu me marques le tout.

La Peugeot démarra en trombe.

– Le problème, dit Bouyou, c’est que nous n’avons aucune preuve.

Je lui racontai comment Jacques s’était trahi en parlant du cordon du magnétophone.

– C’est mince. Sans jeu de mots. Écoute, je te dépose à l’hosto. Tu surveilles l’oiseau ; faudrait pas qu’il s’envole ! Moi, j’essaye d’arranger ça, tant pis si Rohon fait la gueule.

 

*    *    *

 

C’était l’heure du repas. Passant devant la porte grande ouverte de sa chambre, j’aperçus Jacques, qui déjeunait en lisant un magazine.

Ce spectacle m’inspira de la répulsion, et du chagrin. Ainsi, cet homme jeune encore avait choisi le pire destin possible ! De quel amour aimait-il donc Claire pour avoir tant haï Daniel de lui avoir été préféré ? Qu’espérait-il à présent ? Qu’elle se remarierait avec lui ?

Levant la tête, il m’aperçut, sourit, et me fit un petit signe de la main. Quel hypocrite !

Je lui rendis son salut et m’éloignai, un poids énorme sur les épaules.

J’aimais la belle-sœur d’un fou, la fille d’un salaud. Comment avait-elle pu s’épanouir dans un tel environnement ? Et sa mère, qui avait toujours tout ignoré des perversions de ses proches ! Pauvre femme ! Pauvre Claire, aussi ; elle tomberait des nues en apprenant la vérité.

Fallait-il la dire ?

Même pour Ursule, c’était risqué. Elle continuait à faire bonne figure, le contrecoup redouté par Estelle ne s’était pas produit, mais cette fois ?

– Excusez-moi, dis-je en entrant dans la chambre, j’ai été retardé. J’espère ne pas vous avoir trop fait attendre.

– C’est très bien comme ça, dit Ursule.

Elle souriait. Estelle souriait, les joues roses, les yeux éclatants. Ursule se leva :

– J’ai toujours su que vous ne seriez pas un hôte ordinaire, dit-elle. Je sais maintenant que vous allez faire partie de la famille, et j’en suis heureuse.

Changeant brusquement d’expression, elle ajouta :

– Il y avait longtemps que nous avions besoin d’un homme vraiment solide. Aujourd’hui, c’est plus qu’un besoin.

Une lueur étrange passa dans son regard. Et, l’espace d’une seconde, il me fut évident qu’elle avait deviné beaucoup de choses.

– Je ferai de mon mieux, murmurai-je. Je vous dois tant !

C’était mal dit, mais le cœur y était. Je me penchai sur Estelle, et déposai un tendre baiser sur ses lèvres.

À cet instant, on frappa violemment à la porte, qui s’ouvrit aussitôt, et un jeune médecin entra, suivi d’une infirmière à l’expression pathétique.

 

(À suivre.)

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