Le Sourire du Scribe, 22

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 22

 

4.

 

Dans les jours qui suivirent, les gendarmes menèrent une enquête minutieuse pour retrouver le cycliste, tandis qu’un appel à témoins était lancé, par l’intermédiaire de la presse régionale. Peine perdue. On eut beau questionner toutes les mères Lethuillier, toutes les mères Fourcade du canton, les recherches se soldèrent par un échec. La vieille fouine et sa collègue étaient pourtant formelles : l’inconnu passait au moins une fois par semaine, souvent le samedi soir, venant de Montperrat ou de plus loin, Bressanges peut-être ou même Fontvielle, prenait aux Arsins la petite route de Langogne, puis, quelque temps plus tard, parfois un quart d’heure, parfois deux heures, repassait en sens inverse. « Je le revois très bien tourner le coin, avec sa casquette », avait dit Dorothée à Frérot, qui couvrait l’affaire. Sauf que le fameux soir, justement, elle avait été frustrée du spectacle.

Il y avait bien à Montperrat, à sept kilomètres des Arsins, un barbu, oncle de Muriel Corbin, et qui possédait une bicyclette. Mais, appuyé par son épouse, il nia farouchement s’être rendu à Langogne dans les derniers mois. D’abord, le soir du crime, il regardait Pivot. L’alibi manquait de consistance, et Frérot estima que « du temps d’Auberger, ce brave homme n’aurait pas échappé à l’inculpation ». Allusion que je me contentai d’enregistrer, en attendant de pouvoir en saisir le sens.

Pour finir, Lapalus, excédé par l’inanité de ses efforts, me lança d’un ton agressif :

– Votre barbu, ce ne serait pas plutôt que vous aviez les cheveux dans les yeux ?

Ce qui égaya maint gendarme.

Un après-midi, rentrant du village, où j’avais essayé, sans succès, d’appeler Nathalie, je remarquai une voiture de police garée devant le perron des Sycomores et appris d’Estelle, qui semblait m’attendre, que le commissaire Bouyou était venu rendre visite à sa belle-sœur.

Ce nom me rappela confusément quelque chose, mais quand je pénétrai dans le salon je me sentis tout à coup transporté vingt années en arrière.

– Bouyou ! m’écriai-je.

Le commissaire se leva, me dévisagea un instant, puis, avec un sourire inimitable :

– Racine ! C’était donc bien vous.

Michel Bouyou appartenait au club très fermé des héros de mon enfance. Il était le frère aîné d’un camarade de classe doué de sa gentillesse mais non de son énergie, ni surtout du génie inventif qui avait fait de ce singulier adolescent, plus qu’un compagnon de jeux, un initiateur. Au lieu de fréquenter les bandes de gamins de son âge, auprès desquelles pourtant sa neutralité, qui souvent le désignait comme arbitre de retentissants conflits, lui avait assuré un prestige immense, il régnait sur ce que les plus lettrés de ses membres avaient baptisé le Clan des Six, et où l’on trouvait, entre autres élèves de l’école Jules Vallès, Stéphane, son cadet de dix ans, et moi-­même.

 

(À suivre.)

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