Le Sourire du Scribe, 80

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 80

Je crevais d’envie de la prendre dans mes bras, et c’est probablement ce que j’eusse fait, profitant d’une brève absence d’Ursule, si je n’avais pas été titillé par une question cruciale.

– Mon cher amour, dis-je en lui caressant la joue, désolé de te tourmenter ainsi, mais te rappelles-tu ce que tu as fait l’après-midi qui a précédé le double meurtre ?

– Je suis rentrée de Lyon, où j’avais passé deux jours. Georges est venu me chercher à la gare de Clermont. Nous sommes arrivés pour le dîner.

– Il a bien dû te parler en chemin de l’amant supposé de Blanche ?

– En effet, mais je n’y ai pas cru une seconde.

– Et après le dîner, quand vous vous êtes retrouvées toutes les deux dans la cuisine, elle ne t’a rien dit ?

– Elle semblait avoir quelque chose sur le cœur, mais je suis très vite montée dans ma chambre. J’avais honte d’être allée à Lyon sans elle ; ça s’est décidé un peu au dernier moment, un de mes anciens profs montait un spectacle où jouait une copine à moi.

Ursule revint.

– Déjà des projets de sortie ? C’est bon signe !

Estelle ne démentit pas. Quant à moi, je ne tenais plus en place, faisant la navette entre ma chaise et la fenêtre, qui donnait sur le parking de l’hôpital.

Enfin je vis arriver la voiture de Bouyou. Je prétextai une course urgente et filai.

 

*    *    *

 

– Michel !

Il descendait de voiture quand je dévalai la pente gazonnée à sa rencontre.

– Qu’est-ce qui se passe encore ?

– J’aimerais te payer un verre.

– Un seul ? Pas de quoi s’énerver.

Mais la flamme de son regard s’aviva :

– Toi, tu vas enfin te confier.

– C’est à peu près ça.

– Monte. Je connais un troquet sur l’avenue.

Il gara devant un bar d’aspect vieillot.

– Salut Michel ! dit le patron, un Maghrébin sec comme un stockfisch.

– Salut mon frère !

– Ce café, me dit-il tandis que nous nous installions à une table minuscule, c’est le plus sympa de la ville. À part moi, on n’y voit jamais de flics.

Je commandai deux demis.

– Tu ne prends rien ? plaisanta Bouyou. Non, allez, restons sérieux.

– Ça s’impose. Je sais qui a tué Blanche, Dumuids, Mouzon, Georges et la mère Moineau.

– Moi aussi.

Je le regardai, éberlué.

– Qui ?

– L’assassin, tiens ! Non, j’ai dit que je restais sérieux. Mais tu ne l’es pas trop toi non plus. Tu dérailles, Racine. Tu confonds l’affaire des Arsins avec un problème de maths, ou un polar.

– Tu ne veux pas m’écouter ?

– Au pire, tu m’amuseras. Vas-y, déballe.

Dans les mains du patron, les verres s’entrechoquaient. Un groupe de Marocains entra.

– Salam aleikum !

– Waleikum salam !

– Labès ?

– Labès alik ? Bi kheir ?

– Kulchi labès, el hamdu li’llah !

– Ki’ der ? Fin kunti ?

Je n’avais rien perdu de mes rudiments. Mais ce n’était pas le moment de rêvasser.

Je bus une longue rasade de bière, et me lançai.

 

(À suivre.)

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