Le Sourire du Scribe, 79

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 79

 

Le lendemain matin, j’accompagnai Ursule à Clermont. Elle accepta de me déposer à L’Avenir, pendant qu’elle faisait divers achats pour Estelle et pour Jacques.

« PMA » n’était pas là, mais on se souvenait de moi, et on me laissa consulter les archives. J’avais très peu de temps. Je comptais sur la chance autant que sur mon intuition. En quelques minutes, je trouvai ce que je cherchais : la même petite annonce, publiée à deux mois de distance. Il devait y avoir eu d’autres parutions, d’autres jours de la semaine, mais le temps me manquait pour le vérifier. Je me contentai de noter les dates et le texte, et m’en allai, non sans avoir chaleureusement remercié la secrétaire.

Ursule arrivait juste comme je sortais. Nous passâmes à la librairie où travaillait Manoury, toujours en vacances, et achetâmes quelques bouquins. Je pris notamment Surveiller et punir, que Jacques m’avait dit n’avoir pas lu.

Outre des livres, nous lui apportions des vêtements, des ustensiles de toilette, et le magnétophone portable ayant appartenu à son beau-père. Ursule avait eu l’idée de l’offrir à son gendre. Elle y avait joint, parmi les bandes qui s’y adaptaient, celles où Dumuids avait enregistré de la musique, essentiellement des opéras.

Il me sembla que Jacques n’appréciait guère ce présent. Elle dut avoir la même impression :

– Tu aurais peut-être préféré les chants d’oiseaux, dit-elle en manière de plaisanterie.

– Non, bien sûr, mère, mais on va sûrement me confisquer le cordon.

– Qu’est-ce que tu crois ? J’ai mis des piles.

Il se dérida :

– Suis-je bête ! Ça marche aussi avec des piles, ces appareils-là.

– On ne saurait penser à tout, commentai-je.

Le redite parut lui échapper. Elle était pourtant lourde de sens.

– Au fait, ma brosse à dents ?

– Nous l’avons, dit Ursule. Et même un petit rasoir électrique, cadeau de Louis.

– À piles, précisai-je.

Il me remercia.

– C’est vrai qu’ici, dit-il, les rasoirs à lames sont interdits, tout comme les ceintures, les lacets… et  les cordons, ajouta-t-il en me fixant intensément. Et les fenêtres ne s’ouvrent pas ; c’est l’enfer.

– Moi, ça m’évoque autre chose.

Ursule posa sur moi un regard interrogateur. Jacques avait pris Foucault et le feuilletait.

– Nous allons voir Estelle. Tu viens ?

Il leva les yeux vers sa belle-mère.

– Non, merci. Je veux dire : je ne me sens pas d’attaque. Embrassez-la pour moi.

Son expression s’était de nouveau assombrie.

– Il faut le comprendre, me dit Ursule comme nous quittions la salle. Il doit éprouver un terrible sentiment de culpabilité. Mieux vaut le laisser tranquille. J’ai si peur qu’il recommence !

Le visage lumineux d’Estelle contrastait avec la face parcheminée de son beau-frère. Quoique faible encore, et bouleversée d’apprendre coup sur coup la tentative de suicide de Jacques et la mort de Georges – je lui tus, comme à Ursule, celle de la mère Moineau –, elle étincelait de beauté.

 

(À suivre.)

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