Le Sourire du Scribe, 13

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 13

 

3.

 

Au retour, nous trouvâmes les Sycomores en pleine effervescence. Je passai le reste de la matinée dans le parc, où je tombais de temps à autre sur des gendarmes à quatre pattes. D’autres se livrèrent, dans la maison et le pavillon, à une perquisition dont Georges soutenait qu’elle n’était pas légale, et qui, à ce qu’il sembla, n’apporta rien. Désœuvré, j’errais de groupe en groupe, recueillant des fragments de conversations. Les mêmes mots revenaient souvent. On parlait de mystère, d’injustice. On évoquait aussi un certain Philippe Rohon, juge d’instruction.

Dès que madame Dumuids fut seule, j’allai la remercier de son hospitalité. Elle eut un geste de dénégation, puis :

– Vous restez parmi nous, n’est-ce pas ?

– Je comptais m’installer aux Perce-neige. Les gendarmes sont d’accord, du moment que je ne quitte pas Les Arsins.

– Ma foi, si vous préférez l’hôtel... Il est vrai que je ne vois pas ce qui pourrait vous retenir ici.

Quelque chose dans le ton me désorienta. Me trompais-je, ou y avait-il là une prière déguisée ? Je me souvins de ce qu’avait dit Estelle, rapportant les propos de sa mère. Peut-être en effet ma présence créait-elle une espèce de diversion.

– Nous aviserons en temps utile, reprit la veuve. De toute façon, vous déjeunerez avec nous.

Puis elle rejoignit Georges, qui, de loin, nous lançait des regards réprobateurs.

Il s’avéra que l’Hostellerie affichait complet pour quelques jours. Sauf défection de dernière minute, je devais donc chercher à me loger ailleurs. C’est ainsi que, surmontant ma répugnance, ne voyant que les bons côtés de la situation – ­en un mot : Estelle –, et me tenant prêt à déménager à la première occasion, je m’établis aux Sycomores. Ce ne fut peut-­être pas du goût de tout le monde, mais parut satisfaire la maîtresse de maison.

La presse régionale eut tôt fait de s’emparer de l’affaire. Dès le lendemain du crime, L’Avenir publiait un dernière minute en manchette. Le surlendemain, le double meurtre des Arsins méritait quatre colonnes à la une et, en pages intérieures, pas moins de trois articles, l’un portant sur les événements eux-mêmes, un autre sur la carrière du philanthrope, le troisième, moins sérieux en apparence mais de loin le plus intéressant, sur les « chambres closes ». Il était dû à Pierre-Marc Anglade, responsable de la page culturelle, et spécialiste du roman policier. Anglade, rejoignant mes propres convictions, soulignait le caractère littéraire du meurtre. Il en concluait que le coupable serait forcément démasqué. « On pense, écrivait-il, à ces bons vieux polars où le criminel se perd par excès de sophistication. Mieux vaut en effet rester simple. La statistique a doté les enquêteurs de grilles qui leur permettent de résoudre les affaires classiques. Sortir de ces grilles, c’est déjà produire un indice capital, montrer qu’on n’est pas un meurtrier ordinaire, et orienter immanquablement les recherches vers soi. Le crime parfait existe-t-il ? Sans doute. Mais rien ne le distingue a priori d’un crime banal. Souvent, il passe inaperçu, voire demeure ignoré. »

L’article signé William Frérot, correspondant – c’était ce journaliste opportunément survenu aux Sycomores le soir de la tragédie –, souffrait de maintes insuffisances ou inexactitudes. Par exemple, ce n’était pas cinq mille, mais deux mille francs que l’on avait trouvés dans une des poches arrière du pantalon de Dumuids. Et Frérot parlait d’un « quadruple meurtre, les deux victimes ayant été tuées deux fois ». En réalité, seul Dumuids avait subi ce traitement : il avait eu la nuque perforée par un objet pointu avant d’être étranglé, vraisemblablement à l’aide d’un fil de nylon ; la jeune fille n’avait été qu’étranglée. Du reste, on concevait sans peine que l’assassin s’y fût pris à deux fois pour venir à bout de l’épais Dumuids, alors que Blanche offrait moins de coriacité.

 

(À suivre.)

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