Le Sourire du Scribe, 86

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 86

« Un autre que lui se serait dépêché de vider les lieux. Mais, cédant à son tempérament d’artiste, à son goût pour la mystification, peut-être aussi dans l’espoir irrationnel de sublimer l’assassinat de son beau-père, il sacrifie à l’esthétique, je veux dire à une certaine imagerie, propre à une certaine littérature policière. Il essuie le coupe-papier sur la main du Scribe et repart sous le déguisement de Dumuids. Une dernière idée lui vient. Il dispose d’une bonne longueur de fil de pêche ; il en attache une extrémité autour de la poignée de la crémone, qu’il fait pivoter d’un peu plus d’un quart de tour, et lance l’autre par le vasistas entrouvert ; puis il sort par la porte-fenêtre, dont il rajuste les battants derrière lui, après avoir fermé les rideaux à la main. Une fois dehors, il tire sur le fil, la poignée se redresse, la boucle saute, la porte-fenêtre est fermée de l’intérieur. Il rappelle le fil et claque le vasistas. Il n’a plus qu’à pédaler à toutes jambes jusqu’à sa voiture.

– Et à l’aller ? Il a traversé le bois à pied ? Ça fait bien cinq kilomètres.

– Élémentaire, mon cher Bouyou. Avant de quitter les Sycomores, en début d’après-midi, il avait chargé dans son break le vélo d’Estelle, espérant que Dumuids n’en remarquerait pas l’absence, et l’avait recouvert d’une bâche. Arrivé à Clermont, il dégonfle un de ses pneus, suffisamment pour attirer l’attention. Au retour, il gare sa voiture sur l’accotement, non loin du départ du sentier, achève de dégonfler le pneu, y plante un clou, et gagne les Sycomores à vélo.

– Pendant que Raoul est parti retrouver son maître-chanteur.

– Exactement. Il sait que son beau-père sortira juste après le dîner, parce qu’il lui a donné rendez-vous, probablement sur la route de Langogne ; d’où l’argent que Dumuids avait sur lui.

– Et que Jacques a oublié de faire disparaître.

– Ou qu’il a trouvé plus excitant d’abandonner à la sagacité des enquêteurs, comme l’enregistrement de la machine à écrire.

– D’où aussi le Luger !

– Bien sûr. Dumuids l’avait emprunté à Georges sans le lui dire. Il rêvait sans doute de pouvoir intimider voire éliminer son adversaire, au cas où il le rencontrerait. Mais Jacques ne s’est jamais fait connaître. Il lui demandait de déposer l’argent dans un endroit convenu.

– Comment pouvait-il entrer en relation avec lui sans se trahir ?

– Rien de plus simple : les petites annonces de L’Avenir.

Il y eut un silence. Bouyou hochait la tête, l’air écœuré.

– Pauvre Ursule ! dit-il seulement.

– Oui, entre autres.

Subitement, il se tétanisa. Puis il frappa du poing sur la table.

– Attends ! Ça veut dire...

Son regard exprimait un dégoût communicatif.

– Ça veut dire, reprit-il, que Jacques est un proxénète ! Et de la pire espèce ! Si je comprends bien, son beau-père continuait à voir la petite Delphine, et il lui faisait payer les séances !

– C’est comme ça que je le ressens aussi. Mais je termine. Après le meurtre, donc, Jacques doit regagner sa voiture. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que l’éclairage du vélo d’Estelle ne fonctionne pas. Or il fait déjà nuit dans le bois, et il a intérêt à rouler vite. Alors il repart sur celui de Dumuids, en passant devant les Sycomores, direction Montperrat. Il perd une minute, mais il améliore le scénario : si quelqu’un le voit ainsi affublé, les soupçons se porteront sur un barbu étranger au village.

 

(À suivre.)

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Publié dans Le Sourire du Scribe

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