Le Sourire du Scribe, 47

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 47

– En arrivant aux Sycomores, elle n’a pas remarqué l’absence du second vélo ?

– Vous lui poserez la question. Mais apparemment, non. Elle a raccroché le sien et, sur la pointe des pieds, elle est rentrée dans la maison par derrière.

– C’est sans doute elle que j’ai entendue dans l’escalier, vers minuit et demie.

– Ça correspondrait.

– Cet homme, comment était-il ? Et qu’est-ce qui vous fait dire qu’il est son amant ?

– À votre avis ? Quant à décrire le type... D’après la voix et la silhouette, plutôt jeune. Pas très grand. Peut-être une barbe, mais ce n’est pas certain. Je voyais mal.

– Et ils étaient vraiment... en très bons termes ?

– Si c’est ce que vous voulez savoir, ils ne sont pas passés à l’acte devant moi. À leur retour, ils se sont séparés rapidement. Elle avait l’air pressée de regagner son lit.

J’allais probablement déraciner un arbre, quand le grimaçant me retint par ces mots :

– Vous conviendrez avec moi que ça nous fait un suspect de plus.

Et un détail me frappa :

– Un barbu !

– À ce qu’il m’a semblé, nuança-t-il.

– Et Georges, quel rôle a-t-il joué dans cette histoire ? Il nous a dit avoir donné un somnifère à Estelle.

– Elle n’était peut-être pas obligée de le prendre sous ses yeux. Ou bien il a menti.

Georges complice d’Estelle. C’était la deuxième fois que j’envisageais cette abomination.

– Quoi qu’il en soit, reprit-il, c’était bien combiné. Si je n’avais pas été là...

– Vous rôdez souvent, comme ça, du côté des Sycomores ?

– Seulement quand je n’ai rien d’autre à faire. C’était un reproche ? Allons, parlez-moi de vos notes, ça vous calmera.

Et il me tendit une cigarette, que j’acceptai, comme résigné à tous les écœurements.

Mes notes ? Je me revoyais les roulant en tube, les enfermant dans un sac en plastique et les déposant dans la gouttière au-dessus de ma fenêtre. Personne n’irait les y chercher.

– J’aimerais mieux vous les faire lire. Il nous faudrait une sorte de boîte aux lettres. Sous l’appentis, à deux mètres à peine du portillon, il y a un vieil arrosoir rouillé. Qu’en pensez-vous ?

– D’accord. Je passerai dans la soirée.

Le sentier que nous avions suivi en rencontrait un autre, familier : il me ramènerait aux Sycomores. Mais non, je n’avais pas envie de rentrer tout de suite. Mon compagnon me tendit la main :

– Merci, et à bientôt.

– Où habitez-vous ? demandai-je à tout hasard.

– Peu importe. Ni trop près ni trop loin des Arsins. J’y songe, un bon conseil : allez voir le père Jablonski. Il confesse demain matin. C’est un allié sûr.

Et il s’en fut. Je le rattrapai :

– Attention : Estelle se promène dans le bois. À bicyclette, comme toujours.

– Rien à craindre, elle ne me reconnaîtrait pas. Merci quand même. Au revoir.

C’est alors que le déclic se produisit.

Comment avais-je pu manquer à ce point d’intuition ? Je devais être un vrai scientifique, au sens où Claire l’entendait.

Je savais qui était cet homme. Et, tout en le regardant s’éloigner vers la clairière, je sentis un long frisson me parcourir.

 

(À suivre.)

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