Le Tube, 25C/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 25C/27

 

25C. On ne se quitte plus

Samedi 17 juin 1989

 

– Éric !

Changarnier barra son visage d’un large sourire, parallèle à sa moustache.

– Salomé ! Quelle bonne surprise ! Tu es venue couvrir l’événement ?

– Mais c’est ça ! Et toi, tu as la nostalgie des Îles ?

Il la prit doucement par le bras et l’entraîna à l’écart de la sono et du zouk.

– Je vais te dire un secret, lui chatouilla-t-il l’oreille : je suis amoureux de la fille de la maison.

– Alice ? Tu n’es pas le seul !

– Tu veux dire que...

– Qu’il est bête ! Remarque...

Elle eut un petit rire agaçant, puis enchaîna :

– Et Clément, il ne vient pas ?

– Je crois qu’il est à un concert de jazz.

– Au Soleil d’Assouan ? Là où joue le copain d’Alice ?

– Je ne savais pas qu’elle avait un copain.

– Pas mal pour un flic ! C’est que tu n’es pas vraiment amoureux d’elle. Ou alors, au contraire, tellement raide dingue que tu ne vois pas ce qui saute aux yeux.

Changarnier eut brusquement envie de l’étrangler. Il ne fallait pas qu’elle continuât trop longtemps à le charrier. Déjà, son « Qu’il est bête ! »...

Elle en remit une couche.

– Tu sais quand même qu’il prend des cours avec lui ?

– Avec qui ?

Un seul verre de punch et il perdait le contrôle. Il s’en voulut, mais trop tard. Elle abusa de son avantage.

– Oh là là, Éric, c’est grave ! Gilles, le copain d’Alice, il donne des cours de saxophone à Clément. Enfin ils ont commencé aujourd’hui. C’est Maurice qui lui a envoyé. Maurice. Le batteur. L’homo. Mo, l’homo.

Et elle ponctuait ses paroles de ces petits gestes qu’on emploie pour se faire comprendre d’un débile mental. La plaisanterie avait assez duré.

– Un peu de charité. Tu es bien contente que je te donne des informations pour ton journal.

Elle éclata de rire.

– Je me suis toujours demandé si mine de rien ce n’était pas toi qui comptais sur les miennes.

Petite futée ! Changarnier regrettait sa caresse de tout à l’heure. Il se voyait bien maintenant lui serrer le bras à la faire hurler. Mais elle cria spontanément avant qu’il eût même songé à répondre :

– Solveig !

Décidément, elle apostrophait tout le monde. Voyons qui était cette Solveig. Quelque beauté nordique, peut-être ? Il se retourna, et faillit lâcher son second verre encore plein.

– Salomé !

Elle s’approchait d’un pas gracieux. C’était Lydie Fromager.

Salomé n’eut pas le loisir de faire les présentations. Déjà Changarnier tendait son verre à l’arrivante.

– Mademoiselle Fromager ! On ne se quitte plus ! Un verre de punch ?

– Je n’accepte rien d’un inconnu.

Désappointé.

– Je vous ai bien rencontrée en compagnie de Corine Rouge ?

– Oui, et vous revoilà dans mes pattes, mais j’ignore qui vous êtes.

– Rine ne vous l’a pas dit ?

– Inspecteur Changarnier, crut bon de préciser Salomé, troublée elle aussi.

– Nous avons d’autres conversations.

– Ah ! c’est comme ça ? dit Changarnier.

Il vida son verre d’un trait, le donna à Salomé qui le prit machinalement, tira son flingue de son holster et le braqua sur Solveig. Il allait assortir ce geste d’une remarque spirituelle, tout cela n’étant bien sûr qu’une plaisanterie juste un peu lourde, assez sinistre, et parfaitement déplacée parmi la population festive du Décollage, quand la jeune fille le devança :

– Moi aussi, j’aime rire, inspecteur.

Et, d’un coup de pied, elle envoya le flingue voler dans la marmite de punch.

 

Demain : Le porteur d’eau

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