Le Tube, 26A/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 26A/27

 

26A. Le porteur d’eau

Vendredi 10 août 1990

 

D’abord, Axel savoura le cadeau.

Puis il respira profondément pendant plusieurs minutes, reprenant peu à peu la maîtrise de son corps, à l’exception de ce bras devenu un postiche.

Quand il fut prêt, il sortit de la hutte.

La mer brûlait encore par endroits. Des griffures noires s’attardaient sur le fond du ciel. Axel se mit en marche.

Il entra dans la caverne et en gagna le fond, là où tout à l’heure il avait goûté un peu de fraîcheur. À cet endroit la paroi était légèrement humide. Il l’explora de la main, puis des yeux, quand ils se furent accoutumés à la pénombre, et trouva enfin le minuscule filet d’eau que l’espérance lui avait fait entrevoir. Il dévissa le tube avec les dents, le vida de son contenu, qu’il mit dans sa poche, et l’appliqua contre la paroi. En quelques minutes, il l’eut rempli.

Allait-il boire le premier ? Il choisit de donner la priorité à Ulysse. Il le regretta. Car ses jambes affaiblies le trahirent et il renversa le tube en chemin. Il eût mieux valu privilégier l’efficacité du porteur. Il dut donc recommencer, mais, cette fois, but avant livraison.

Ces quelques centimètres cubes d’une eau pure et fraîche lui procurèrent un plaisir indicible, et que redoublait la perspective d’en faire profiter son compagnon. Il était euphorique en sortant de la caverne, devait régler son pas pour limiter les pertes, ayant bien sûr rempli de nouveau le tube à ras bord, atteignit l’abri, ouvrit du pied la porte, s’agenouilla auprès d’Ulysse, et vit qu’il arrivait trop tard.

 

Assis face à la mer, Axel récitait l’alphabet grec.

Il y eut un mouvement à côté de lui. Il tourna la tête.

La porte de la hutte venait de s’ouvrir et Ulysse parut.

Debout, souriant dans ses vêtements clairs.

Il lui adressa un geste amical et s’avança tranquillement vers les flots.

Arrivé au bord, il continua, sans se retourner.

Il marchait sur l’eau, lentement, dans le soleil.

Quand Axel l’eut perdu de vue, il se mit à faire froid.

Il se rappela qu’il était torse nu.

Il entendit sa tante le disputer de sa voix de crécelle.

Le vent se leva.

Quelque chose bougea au-dessus de lui.

C’était le géant, il couvrait le ciel.

Son œil unique se mit à tourner comme une vrille.

 

Deux jours que Babar ne répondait plus. Solveig Fromager pensait à Grégoire Pujol. N’avait-elle pas eu tort de lui apprendre l’existence du tube ?

 

Frédéric Hardy buvait du petit-lait.

Jamais il ne remercierait assez sa cousine de lui avoir livré le scoop du siècle, ne lui dirait assez son admiration pour s’être mêlée à cette abominable secte dans le but de la détruire. Au risque de sa propre vie ! Voilà pourquoi elle avait disparu : elle enquêtait ! Elle eût fait une remarquable journaliste.

À sa demande, il lui avait juré de garder son rôle secret.

Quant à lui, le scoop l’avait propulsé sur le devant de la scène. Déjà qu’il couvrait l’affaire Têtenoire ! C’était autre chose que la culture ! Et il avait eu un sacré flair. L’arrestation de Changarnier remettait tout en question en validant sa thèse : Têtenoire avait dit la vérité. Dieu sait pourtant si cette baguette de pain lui avait fait du tort. Cathy Morénas et sa fille avaient été retrouvées chez les Apolliniens, complètement déboussolées par des mois de traitements inhumains. Aux dernières nouvelles, elles commençaient à aller mieux, mais la cure serait longue, comme aussi l’enquête.

Non, jamais il ne remercierait assez Corine Rouge.

 

Corine s’entraînait à plier le genou. Sabrina vint s’asseoir à côté d’elle sur le lit.

– Ça va mieux, on dirait.

– C’est seulement maintenant que tu t’en aperçois ?

Elles rirent et s’ébattirent un moment dans les draps froissés. Puis Sabrina se dépêcha de s’habiller pour ne pas être en retard à La Valserine.

– Je crois que je vais reprendre mon boulot à l’hôpital ! lui cria Corine.

 

Demain : La leçon d’anglais

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