Le Tube, 6C/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 6C/27

 

6C. John Hornbeam

Samedi 17 juin 1989

 

– Et puis il y a mon nom, dit Jean.

– Charpot ? dit Sandra.

– Ça fait pochard en verlan, dit Jean.

– C’est vrai, dit Margot.

– Pas très vendeur, dit Sandra.

– J’avais bien un pseudo à une époque. Mais tellement nul...

Il se tut. Margot et Sandra montrèrent de la déception. Sandra reprit :

– C’est drôle, Margot et Charpot, ça se ressemble vachement.

– John Hornbeam, dit Jean. On fait pas plus con.

– Tu es sévère, dit Sandra.

– Mais le nom on s’en fout, dit Jean.

Margot alluma une cigarette.

– Raconte quand tu as arrêté de boire.

– Oui, dit Sandra.

– Une erreur, dit Jean.

– Allons, dit Margot.

– J’exagère. L’erreur, ç’a été d’entrer au service des Urubus.

– Les vautours ? dit Sandra.

– De chez vautour, dit Margot.

– Au début, dit Jean, je ne savais pas à qui j’avais affaire. Bien sûr, je me rendais compte que ce qu’on me demandait n’était pas spécialement légal, du genre transporter de mystérieux paquets à de mystérieux endroits. Mais comme ceux pour qui je travaillais payaient mieux que n’importe quel patron de boîte de jazz, que tout ça pour finir m’occupait et, il faut bien le dire, m’amusait, au point que je ne pensais plus du tout à picoler, j’ai continué à bosser pour eux, pendant deux ans.

– Tu changeais de vie, quoi, dit Sandra.

– Exactement. Je jouais toujours – je me suis racheté un piano –, et avec un certain plaisir, mais c’était devenu beaucoup moins important. Peut-être aussi que j’étais beaucoup moins bon. Un client m’a dit ça un jour. Il m’a dit : « Eh ! bien, Charpot, on voit où vous puisiez l’inspiration. Faut reprendre les bonnes vieilles habitudes ! » Je lui ai pardonné, parce qu’il était bourré, mais c’est vrai que ça m’a ébranlé sur le coup.

– Ça représentait un sacré effort de volonté d’arrêter de boire, dit Margot.

– Probablement, dit Jean. Mais je ne m’en suis pas vraiment aperçu. En revanche j’ai fini par en avoir assez de me faire exploiter sans savoir pour qui ni pour quoi. C’est marrant cinq minutes, bon, moi j’ai tenu deux ans, et puis ce truc m’est arrivé entre les pattes.

– Tu vas voir, c’est délirant, dit Margot à sa sœur.

– Si tu avais une bière, dit Jean.

Margot alla lui chercher ça dans le frigo. Nabil, qui commençait à fatiguer, profita de l’intermède pour s’asseoir contre la porte. Il n’avait toujours pas été dérangé. De temps en temps, des bruits lui parvenaient des étages inférieurs, et il s’était plusieurs fois préparé à donner le change, mais personne encore n’était monté jusque là, et le dernier étage restait silencieux.

– Plus j’y pense, plus je suis sûr que c’est ça qui a tout déclenché. Imaginez-vous un tube de cigare, en apparence très banal, mais qui contenait quelques feuilles de calepin roulées ensemble, et couvertes d’inscriptions en grec. Je lis pas le grec, mais je connais l’alphabet. Du jour où on m’a refilé ça, dans des circonstances d’ailleurs très étranges, je me suis senti épié en permanence, et pas seulement épié, mais menacé. Si bien que j’ai décidé de disparaître. Un jour, j’ai pris ma voiture, et je suis parti.

– Avec le tube ? demanda Sandra.

Jean regarda sa canette vide.

– C’était évidemment la dernière chose à faire, et pourtant, je ne sais pas pourquoi, je l’ai emporté.

– Et tu l’as toujours ? demanda Sandra.

– Non. J’ai quand même fini par me rendre compte de mon erreur, en cours de route. Je l’ai laissé dans une auberge. Il y est peut-être encore.

Nabil jugea que le moment était venu de frapper à la porte.

 

Lundi : Une tombe improvisée

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