Le Tube, 8B/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 8B/27

 

8B. Une chambre très fréquentée

Mercredi 8 février 1989

 

Orson sursauta. Quelqu’un était entré dans sa chambre. Écarquillant les yeux, il s’accoutuma lentement à la faible clarté de la veilleuse. Après un assez long silence, le même bruit qui l’avait sans doute tiré de son sommeil reprit, à l’autre bout de la pièce, près du cabinet de toilette.

Tout doucement, il souleva le buste, non sans accentuer le bruit de sa respiration, pour faire croire qu’il dormait. Il vit alors que la penderie était ouverte, découpant dans le mur un rectangle plus sombre où s’agitait une tache blanche.

Une infirmière est en train de fouiller mes vêtements, songea-t-il.

Aucun doute là-dessus. Mais que cherchait-elle donc ?

Il venait tout juste de comprendre quand on frappa à la porte.

Il vit l’infirmière hésiter une seconde avant de s’enfermer dans la penderie.

Bien joué, mignonne, se dit Orson. Mais à malin, malin et demi.

– Oui, bâilla-t-il en allumant le plafonnier.

L’infirmière de nuit entra, suivie d’un homme imposant, à l’épaisse moustache rousse, et d’un jeune type d’origine maghrébine. Ravenel les rangea instantanément dans la catégorie des flics.

– Vous voyez bien qu’il ne dort pas, dit une grosse voix fusant de sous la moustache.

L’infirmière avait l’air soucieuse.

– Ne le fatiguez pas, surtout. Ça va, monsieur Ravenel ? Ces messieurs sont de la police. Ils veulent vous parler. Je n’ai pas pu les convaincre d’attendre demain. Ils disent qu’il y a urgence.

– Et comment ! grommela le moustachu en se carrant dans l’unique fauteuil. Inspecteur Changarnier, inspecteur adjoint Filali. Merci, laissez-nous, ajouta-t-il sans regarder l’infirmière, qui s’enfuit comme pour aller pleurer dans un coin.

Puis il sortit de sa poche une enveloppe et en tira une photographie, qu’il tendit à Orson sans autre préambule. Debout derrière lui, l’autre était prêt à prendre des notes.

Il va falloir jouer serré, pensait Orson, qui regarda la photo, et ne s’y attarda que le temps qui convenait pour qui n’eût pas été spécialement concerné.

– Pourquoi vous me montrez ça ? demanda-t-il au flic en lui rendant la photo.

L’autre la refusa d’un geste.

– Perdu la mémoire, aussi ?

Il se tourna vers le jeune type.

– La scoumoune, Selim. Monsieur Ravenel est devenu amnésique.

Selim rigola.

– Allons, ça ne vous revient pas ? Regardez mieux.

– Ce n’est qu’une banale photo de cul, dit Orson.

– De cul, à la rigueur. Banale, je ne suis pas d’accord.

– Ben alors, vous avez jamais rien vu.

L’autre se domina au prix d’un effort pathétique.

– Écoutez, Ravenel, si vraiment cette photo vous fait si peu d’effet, pourquoi y tenez-vous autant ?

– Comprends pas.

– C’est vrai, vous préféreriez le négatif.

– Comprends rien.

– Bon.

Le flic se leva tranquillement, fit quelques pas dans la chambre et alla s’adosser à la porte de la penderie. Selim baissa les yeux vers son carnet. Un silence pesant s’installa. Puis, d’une voix un peu trop aiguë, le moustachu reprit :

– Rassurez-nous, monsieur Ravenel. Vous n’avez quand même pas oublié votre profession ?

– Je n’en ai pas honte. Pas plus que vous de la vôtre, j’imagine.

– Excellent. Vous êtes donc... (il parut se retenir de prononcer un terme ordurier) agent de recherches. Et, si mes renseignements sont bons – et ils le sont –, considéré comme efficace. Ce qui n’est pas étonnant quand on connaît votre passé. Ah ! ça vous embête que je parle de ça.

– Vous, ça vous fait jouir, on dirait.

– Et voilà, il s’énerve. Expliquez-moi plutôt, monsieur Ravenel, détective privé, comment vous avez pu tomber dans un tel panneau.

Et, récupérant la photo, il éclata de rire. Selim l’imita. Puis Orson rit à son tour. Il venait de gagner la partie.

 

Demain : Deux sœurs

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