Le Tube, 7B/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 7B/27

 

7B. Les mots pour le dire

Mercredi 8 février 1989

 

Orson se réveilla. Quelqu’un était assis sur son lit et lui parlait d’une voix douce. Il ouvrit les yeux et distingua dans la pénombre un visage de jeune femme. Aussitôt il sut qu’il était à l’hôpital, et il se rappela l’accident. Il voulut articuler quelques mots, mais en redressant la tête pour mieux voir l’infirmière il éprouva une douleur si vive dans la nuque qu’il poussa un cri.

– Ne bougez pas, continuez à vous reposer. Demain ça ira mieux.

– Quoi ? murmura Orson. Qu’est-ce qui... ?

– Vous êtes entré hier soir. Vous avez été opéré dans la nuit.

Elle avait une voix enjouée, un peu grave, et une jolie bouche légèrement dissymétrique. Orson sourit, et sourit plus encore de pouvoir sourire : ça, au moins, c’était indolore.

L’infirmière souriait elle aussi.

Soudain, un doute affreux le saisit. Opéré ? De quoi ? Mais il n’eut pas besoin de formuler sa question. À croire qu’elle lisait dans son regard.

– Vous vous en tirez bien, dit-elle avec calme. Vous avez eu beaucoup de chance.

Cependant quelque chose dans le ton l’inquiétait vaguement. Il palpait le drap, heureux de sentir l’étoffe sous ses doigts, sous ses paumes, gonflait avec application ses poumons, retrouva peu à peu la conscience de tout son corps.

Sauf de sa jambe droite.

L’infirmière n’avait pas quitté des yeux son regard. Et c’est au moment exact où il sut la vérité qu’elle dit, lui posant la main sur l’épaule :

– Vous verrez, la vie vaut largement même un grand sacrifice.

Les mains d’Orson se crispèrent sur le drap, il eut brusquement envie de pleurer, et la porte de la chambre s’ouvrit. Un médecin entra.

– Alors, comment va notre amputé ? demanda-t-il gaiement.

– Il t’am...pute, dit Orson.

– Bon, Corine, dit le médecin sans écouter la réponse, je compte sur votre sens de la psychologie.

Puis il sortit, en traînant un peu les pieds.

 

– Quel con ! dit Charpot.

Au vrai, il n’y avait pas que de la haine dans ce commentaire. Il s’y mêlait au moins deux autres sentiments, une espèce d’affection portant vers l’indulgence, et une joie mauvaise qui au contraire aggravait son cas.

Se remettre à boire pour si peu, c’était vraiment stupide. Et quelle migraine !

Le pichet de rouge avait ouvert en grand les vannes. Les premiers verres lui avaient redonné un semblant de sérénité, il avait retrouvé assez d’appétit pour finir sa blanquette, puis commandé un autre pichet, puis eu envie d’une coupe colonel, où la serveuse avait eu la main particulièrement généreuse question vodka, à croire qu’elle avait flairé le bon client et le confortable pourboire qu’il lui avait en effet laissé, mais pas tout de suite, oh non ! La vodka en avait appelé une autre, à titre de pousse-café, puis une autre encore, car, ayant cru reconnaître la marque et ayant perdu son pari, il s’était accordé une seconde chance, et là il avait trouvé, et le patron, ébloui, lui avait offert la troisième, mais maintenant monsieur on va devoir débarrasser.

Il avait quitté le restau sur le coup de deux heures et demie et, incapable de reprendre sa route comme ses esprits, s’était réfugié dans l’église. Là, enveloppé de son manteau-couverture, il s’était assoupi sur un banc, et personne ne l’avait dérangé.

Il se mit debout, et crut qu’il allait vomir, mais se retint. Il réussit même à épargner le bénitier, n’abusant pas de la Providence, et, le temps de gagner la sortie, sa nausée disparut. Oui, finalement, à part le mal de crâne, ça allait.

Miracle que cet asile. Il se retourna une dernière fois vers le chœur. Un rayon de soleil tomba sur l’autel. Il en eut les larmes aux yeux. Je devrais peut-être essayer la religion, se dit-il. Idée qu’il n’eut aucune difficulté à chasser.

Debout sur le parvis, il respira un grand coup. Comment poursuivre son voyage ? Il repensa à sa voiture, s’applaudit d’avoir tu au garagiste que c’était la sienne. Ça lui avait donné un peu de répit. Mais maintenant il fallait trouver un véhicule.

De l’autre côté de la rue, le restau semblait l’appeler. Elle était là, la solution. Il entrerait commander un taxi. Il avait les moyens, non ? Il en profiterait pour reprendre un café. Pas d’alcool, en tout cas. Sa rechute n’était qu’un accident de parcours.

Enfin, disons qu’il ferait un trait sur cette journée. Mais il l’avait mal commencée, et le taxi le fit suffisamment attendre pour qu’il décide de mal la finir.

 

Demain : La technique du talon-pointe

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