Le Tube, 9C/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 9C/27

 

9C. Non, mamie !

Samedi 17 juin 1989

 

La grand-mère de Sabrina habitait un chalet isolé dans la montagne. Nabil avait commencé par craindre pour sa voiture, puis l’excitation l’avait emporté. Maintenant la Maserati grimpait une étroite route en lacets que, passé un maigre hameau, ne recouvrait plus le moindre bitume. Les mains en sueur, le pilote guettait le caillou plus traître que les autres qui lui ferait regretter son caprice. Jean profitait de sa concentration pour admirer le paysage et surtout penser tranquillement à Margot. Mais Nabil eut tôt fait de reprendre son bavardage.

– Vivre dans un coin aussi paumé ! railla-t-il. Vous imaginez ça l’hiver ?

Etc.

Enfin le chalet fut en vue. La Maserati quitta la route ou ce qui en tenait lieu pour un authentique chemin de terre orné en son centre d’une crête végétale bien fournie qui se frottait comme un chat contre son ventre. Elle se rangea derrière une Panda 4×4. Les deux hommes descendirent.

Tout était calme. L’air embaumait l’herbe chaude et les fleurs. Des bourdonnements d’insectes damassaient le silence. Des criquets crépitaient, des papillons divaguaient. Enfin, à l’étage, une porte-fenêtre s’ouvrit et une femme parut sur le balcon. Charpot la reconnut aussitôt.

– Sabrina Murgier ? lança-t-il.

Elle, manifestement, ne le remettait pas, ce qui était compréhensible. Quand même, ce visage lui disait quelque chose. Elle fronçait les sourcils, une sourde inquiétude la gagnait, brusquement elle cria :

– Oh putain !

Et, tandis que les deux hommes se regardaient, elle dévala l’escalier de bois :

– Oh putain ça y est !

Elle alla droit à eux, leur tendit la main. Charpot fut ému par cette courageuse ingénuité, et très étonné de se sentir si familier d’une fille qu’il n’avait vue que dix minutes, quatre mois plus tôt.

– Je suis désolée, reprit-elle, je l’ai donné à l’autre monsieur. Depuis, j’en fais des cauchemars. C’est grave, non ?

– Les cauchemars, pas tellement, plaisanta Nabil.

Il tira de sa poche un cigare. Ce que voyant, la fille se troubla encore plus.

– C’était à vous, bien sûr.

D’un coup de dents, Nabil sectionna l’extrémité de son barreau de chaise, la cracha dans les herbes à bien cinq mètres de là, passa le corps du cigare à la flamme de son briquet.

– Qu’est-ce que vous allez me faire ?

Elle est maso, se dit Charpot. La compassion se muait chez lui en une espèce de dégoût. Les premières volutes du Davidoff contribuèrent à lui soulever le cœur. Il déglutit avant d’articuler :

– Ne vous inquiétez pas. Dites-nous seulement à qui vous l’avez donné.

Mauvaise idée. Sabrina poussa un cri strident, puis éclata en sanglots, ce qui rendit plus difficiles à interpréter ses paroles entrecoupées de hoquets.

– Justement – je sais pas – je peux rien vous dire – que j’ai été sotte – vraiment – je suis désolée – j’aurais pas dû – j’ai pas géré – pourtant vous m’aviez laissé un bon pourboire – qu’est-ce que vous allez me faire ?

Charpot eut la nette impression que si Nabil n’avait pas eu la main droite occupée par son cigare il la giflait.

À ce moment-là une voix résonna au-dessus de leurs têtes :

– C’est quoi ce bordel ?

Ils virent alors, dépassant de la rambarde, une tête de vieille dame et le canon d’un fusil.

– Qu’est-ce que vous voulez à ma petite-fille, salopards ?

– Non, mamie, non ! hurla Sabrina.

Mais déjà la vieille avait tiré en l’air. Les montagnes renvoyèrent longtemps l’écho de la détonation, avant qu’il fût couvert par le ronronnement d’un moteur. Invisible encore, une voiture montait de la vallée.

– Ils sont pas méchants, mamie ! On cause !

– Ah ! ben causons, alors. Mais restez pas dehors.

Ils gravirent l’escalier, parvinrent sur le balcon. La vieille braquait son fusil sur eux.

– Entrez.

– Merci de votre hospitalité, dit Nabil. Voulez-vous que nous levions les mains ?

– Non, je veux que tu me donnes un cigare.

 

Demain : Un trait d’humour

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