Le Tube, 4B/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 4B/27

 

4B. Le jour du PDG

Mercredi 8 février 1989

 

Sabrina Murgier se dit que, si ça continuait comme ça, elle appellerait Cathy. Depuis qu’elle était levée, elle ne se sentait pas bien. D’abord elle avait mal dormi. Elle avait fait des cauchemars, et pour ce qui est de la rassurer, de la consoler, elle n’avait évidemment pas pu compter sur Ralph, qui lui aurait plutôt collé un pain si elle s’était avisée de le réveiller. Cela dit, quand c’était lui qui la réveillait, et en ce moment elle ne savait pas si c’était à cause de la saison ou quoi mais il lui prenait des envies jusqu’à plusieurs fois par nuit certaines nuits, il lui flanquait des pains tout pareil. Ralph, c’était un violent. Heureusement qu’il était bon cuisinier.

La serveuse de la Biche aux abois se laissa tomber sur une chaise. La tête lui tournait. Ça faisait peut-être cinq minutes qu’elle était en train de frotter la même table sans pouvoir passer à la suivante. Qu’est-ce qu’elle avait ? Le moral qui flanchait, probable. Elle n’avait envie de rien, même pas d’un demi. Elle regarda un moment les voitures débouler du virage à toute allure parce que c’était la fin de limitation de vitesse, puis elle prit sa décision.

Elle se leva et se dirigea vers le comptoir. Comme elle décrochait le téléphone, Ralph sortit de la cuisine, la cigarette aux lèvres, un plein casier de bouteilles vides sous le bras.

– Qui t’appelles ? Y a pas de commandes.

– Je téléphone à Cathy qu’elle vienne me remplacer, je suis malade.

Il rit sans presque desserrer les lèvres, rapport à la cigarette.

– Malade, toi ? C’est moi qui serais malade de t’écouter.

Puis il s’éloigna, ajoutant :

– Magne-toi, y a le PDG qui vient déjeuner. Il se pointe toujours à midi pile.

C’est vrai, se dit Sabrina, on est mercredi. Et elle réalisa du même coup que, justement parce qu’on était mercredi, Cathy ne serait pas libre. Pas de chance, vraiment ! Elle en eut les larmes aux yeux.

Ralph revenait. Il se planta devant le comptoir, et, sans rire cette fois, mais vissant sur elle un regard méchant, il susurra :

– On est mercredi, ma tourterelle. Cathy est pas libre. Et toi tu bosses.

Elle crut qu’il allait lui coller un pain, comme souvent quand il l’appelait ma tourterelle, mais ils avaient du travail, alors il la laissa.

Pleurer lui fit du bien. Boire un demi aussi. Mais surtout ce qui lui donna un sérieux coup de fouet, c’est qu’elle comprit enfin pourquoi elle n’avait pas le moral.

Elle était en train de mettre le couvert, et elle repensa au tube de cigare. Est-ce qu’elle n’avait pas fait une bêtise en le donnant à ce client ? Sur le coup elle avait cru agir exactement comme il fallait, mais maintenant elle se rappelait que le monsieur avait eu une réaction un peu bizarre et lui avait posé de drôles de questions, comme si finalement elle s’était trompée de destinataire. Et dans ce cas, qu’est-ce qu’elle ferait si quelqu’un d’autre venait lui réclamer le tube ? Et si le monsieur à la R 12 orange lui demandait des comptes ? Non, décidément, elle s’était fichue dans une sale situation. Quant à se confier à Ralph, c’était une idée tellement déplacée qu’elle la fit presque sourire.

Pour se détendre, elle alluma la radio, tomba sur le flash de onze heures. Elle allait changer de station, quand un nom fut prononcé qui suspendit son geste. Aussitôt son visage montra le plus grand intérêt. Un grave accident de la circulation à Culoz. Des morts. Un chauffard en fuite dans une R 12 orange. Mince alors !

À ce moment, le gravier du parking crissa. Le cœur battant, elle risqua un œil par la fenêtre. La R 12 ? Ouf ! non. La DS du PDG ? Pas davantage, d’ailleurs il était trop tôt. C’était une voiture qu’elle n’avait jamais vue. Deux inconnus en descendirent. L’un avait le type nord-africain. L’autre était du genre baraque, avec une grosse moustache rousse. Ils se dirigèrent tranquillement vers l’entrée.

Réfugiée derrière le comptoir, Sabrina tâchait de se calmer. Elle se servit un galopin qu’elle but d’un trait. Comme elle reposait son verre, Ralph surgit dans son dos.

– Les flics ! dit-il.

Car ce fin cuisinier avait aussi du flair.

– Bonjour, Messieurs ! leur lança-t-il gaiement dès leur entrée. Ce n’est pas déjà pour déjeuner, j’espère ? Il est un peu tôt. Mais vous prendrez bien l’apéritif ?

Sabrina posa sur son concubin un regard où se mêlaient la crainte et l’admiration.

Quand même, ils étaient forts, ces flics. Comment ils avaient su pour la R 12 ?

Eh bien ! puisqu’ils étaient si forts, elle ne leur dirait que le strict minimum. Et le tube, si possible, elle n’en parlerait pas du tout. C’était son secret, ça le resterait.

 

Demain : Que celui qui a des oreilles...

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