Le Tube, 20C/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 20C/27

 

20C. Surprise !

Samedi 17 juin 1989

 

Changarnier tendait l’oreille. Dans ce vieil immeuble dépourvu d’interphone et d’ascenseur, les bruits eux-mêmes paraissaient démodés. Cognements de canalisations, grincements de marches, sifflements de bouilloire, tintements de poubelles métalliques montant de la cour. Il se rapprocha de la porte d’entrée. Quelqu’un gravissait l’escalier, sans discrétion ni hâte particulières ; Corine, probablement ; elle ne se savait pas suivie, mais ne pouvait ignorer que Pinault était sorti. Pensait-elle entrer chez lui en son absence ?

Il entendit son pas sur le palier. Silencieusement, il s’approcha encore de la porte, colla son œil au judas. C’était bien elle.

Il l’entendit manipuler un trousseau de clés, puis s’attaquer au verrou.

Il se concentra. Que comprendrait-elle en le trouvant chez Pinault ? Peut-être pas grand-chose. Devait-il saisir cette occasion de l’éliminer ? Il valait mieux qu’elle reste en vie ; elle constituait une voie d’accès commode vers Fromager. Et puis il y avait cette mystérieuse poursuivante. Que voulait-elle ?

Le mieux eût été de pouvoir observer les événements sans y être impliqué. Mais, sauf à se transformer en homme invisible, il fallait y renoncer. Ce qui n’interdisait pas de se cacher quelque part.

Changarnier opta pour la penderie, ses vastes dimensions, sa situation exceptionnelle sur le chemin de la sortie. Il eut juste le temps de s’y engouffrer silencieusement et de refermer le panneau coulissant, se ménageant un étroit interstice par où surveiller la porte palière. Il la vit s’ouvrir et Corine entrer. Elle la rabattit derrière elle et alla droit au salon. Il l’entendit s’asseoir, puis plus rien.

Le parquet du palier craqua, puis la porte fut poussée sans bruit, et une silhouette se glissa dans l’entrebâillement. C’était l’autre fille, vêtue d’une combinaison de moto ; elle n’était pas armée. Elle gagna elle aussi le salon.

Comme il agrandissait précautionneusement l’ouverture, rêvant de pouvoir y passer la tête pour mieux entendre la suite, il perçut un rire étouffé. L’instant d’après, ce fut une explosion.

– Corine !

– Lydie !

– Qu’est-ce que tu fais là ?

– Et toi ?

Leurs cris firent résonner tout l’immeuble. Changarnier n’avait pas l’image, mais il devina sans peine qu’elles s’étaient jetées dans les bras l’une de l’autre.

– Tu m’attendais ?

– Tu as vu ça, hein ? Je me doutais que j’étais suivie.

– Ç’aurait pu être dangereux.

– Peut-être, mais regarde.

Corine devait exhiber une arme particulièrement impressionnante, à en juger par le sifflement admiratif de son amie, dont il savait maintenant qu’elle se prénommait Lydie.

Comme la fille de Fromager.

Cette fameuse Lydie qu’il n’avait jamais vue.

Se pouvait-il... ?

Il sortit la tête. Le bagage sur lequel il avait pris appui s’effondra, moins rigide qu’il ne l’avait cru, et son épaule heurta le panneau. Au bruit, les femmes se turent.

– C’est la porte qui claque, je l’ai laissée entrouverte.

– Je crois pas, dit Corine, c’était un bruit sourd.

Changarnier l’entendit armer un flingue. Lui-même dégaina le sien. Mais il ne souhaitait pas s’en servir. Il voulait tout faire au contraire pour éviter l’affrontement. Il quitta sa cachette et se campa au milieu de l’entrée, en criant :

– N’ayez pas peur ! Je suis juste venu discuter !

Un silence épais avait pris possession de l’appartement. Se trouvaient-elles encore dans le salon ? Par la porte vitrée, Changarnier guettait vainement un signe de leur présence. S’il avançait d’un pas, il se trouverait dans l’axe du couloir où elles le guettaient peut-être. Tirer le premier ? C’était perdre toute chance de négocier.

À son grand regret, il dut se résigner à fuir.

Comme il sortait à reculons, il se heurta sur le palier à un inconnu. Il provenait de l’appartement voisin et ses intentions étaient hostiles.

 

Lundi : Jouer la montre

Publié dans Le Tube

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article