Le Tube, 3C/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 3C/27

 

3C. Visite nocturne

Samedi 17 juin 1989

 

Le liftier portait une livrée rose vif. Les gens lui indiquaient leur destination à l’oreille. Mais jamais l’ascenseur ne s’arrêtait à l’étage souhaité par Margot. Quand elle fut la dernière, elle ne savait plus où elle voulait aller. Le liftier attendait. Elle remarqua sa cravate, en forme de manche de contrebasse, et sa tête en bois. Margot se demanda comment elle pourrait lui parler désormais. Alors quelqu’un chercha à entrer dans l’ascenseur, avec beaucoup de difficultés, parce qu’il transportait un piano. Sur le palier, les gens protestaient. Le piano heurtait bruyamment les parois de la cabine.

Margot se réveilla. On tambourinait à sa porte.

Elle regarda son réveil. Quatre heures. Enfila un peignoir, et, pieds nus, dévala l’échelle de la mezzanine.

– Oui ?

– C’est Jean. Tu peux m’ouvrir ?

Elle se demanda si elle ne continuait pas à rêver.

– Jean, le pianiste, dit la voix de Jean.

– Oui, oui, j’ouvre.

Il avait l’air surexcité.

– Désolée, la sonnette est en panne. Tu as des ennuis ?

Il lui prit les mains, ce qu’il n’avait jamais fait depuis quatre mois qu’ils se connaissaient.

– Exactement. Donne-moi quelque chose à boire.

Même cette prière, malgré son penchant pour l’alcool, ça ne lui ressemblait pas. Margot recula.

– Du gin, ça ira ?

– Parfait, soupira-t-il.

Et il s’assit sur le canapé, le torse raide, le visage crispé.

Quand, dans ses moments de vague à l’âme, Margot avait imaginé la visite de Jean sous son toit, elle avait vu les choses tout autrement. Mais il était bel et bien là, la main déjà tendue vers la bouteille qu’elle s’apprêtait à déboucher. Elle crut qu’il allait boire au goulot, mais il se remplit un verre, et lui proposa même de la servir, ce qu’elle accepta. Elle le regarda boire, puis s’assit à côté de lui.

– Qu’est-ce que c’est, tes ennuis ? Une femme ?

Elle n’eût pas su justifier cette seconde question. L’effet fut d’autant plus surprenant. Jean se pencha brutalement en avant, renversant son verre sur le kilim pêche offert par Sandra.

– Tu la connais ?

– Qui ?

– La petite blonde !

– Écoute, Jean, ma sœur m’a bassinée ce soir avec un client de la boîte qui sort avec cette fille, et voilà que tu t’intéresses à elle. Vous avez le chic, tous les deux.

Jean secouait la tête en se resservant, ce qui, ajouté à ses tremblements, laissait craindre à nouveau pour le kilim.

– C’est pas ça, c’est pas ça. Tu ne sais rien de Corine Rouge.

– Faux, dit Margot. C’est une petite blonde de vingt-cinq ans à peu près, qui fréquente à l’occasion le Soleil d’Assouan.

Devant son air tragique, elle s’en voulut de cette plaisanterie.

Il lui empoigna le bras et l’attira contre elle.

– Margot, sans blague, j’ai besoin qu’on m’aide.

Elle le trouva vraiment convaincant, même si elle se sentait surtout incapable de résister à son charme.

– J’ai besoin de toi, reprit-il.

Et ils s’embrassèrent avec passion.

 

Nabil fumait, profondément enfoncé dans le siège de sa Maserati. Cette nuit lui coûtait cher en cigares. Mais il avait tout son temps.

Deux heures qu’il avait vu Charpot entrer dans l’immeuble. Une chance qu’il eût pris cette petite rue au lieu du boulevard. Une chance, ou une habitude maniaque ? En tout cas, il ne lâcherait pas sa proie.

Il recompta les étages. Pas de doute, c’était au sixième que la lumière s’était allumée tout à l’heure, juste après l’arrivée du pianiste. Maintenant elle était éteinte.

Nabil eut un mauvais sourire. Charpot avait encore aggravé son cas. S’il était allé chez Margot, ce n’était sûrement pas pour faire de la musique.

 

Demain : Les Urubus attaquent

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