Le Tube, 20A/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 20A/27

 

20A. Le nom d’Ulysse

Vendredi 10 août 1990

 

Axel n’avait pas progressé de vingt mètres sous le couvert des arbres qu’il s’arrêta, pris d’un doute. Si de nouveaux visiteurs abordaient l’île en son absence, des complices des premiers, ou des garnements du même acabit, qu’adviendrait-il de son compagnon ?

Quelle guigne que sa douleur à l’épaule lui interdît d’escalader la falaise pour, de là-haut, apprécier la situation ! Quel dommage surtout qu’avant d’atterrir, accaparé par le spectacle du corps étendu, et n’apercevant aucune embarcation dans les parages, il n’eût pas poussé plus loin ses observations ! Peut-être eût-il repéré le Zodiac et même le navire d’où, sans doute, il était parti. Mais n’y avait-il pas moyen d’atteindre, malgré son bras défaillant, un point d’observation suffisamment élevé ? Ça valait le coup d’essayer. Il retourna donc sur la plage.

Là, il examina les rochers, les arbres, et comprit que son projet n’était pas réalisable. Une seule solution : jouer la montre. Or il venait de perdre plusieurs minutes. Anxieux, il jeta un œil vers le large. Toujours aucun signe de vie humaine.

Il allait repartir, quand il vit un urubu se poser sur le rivage et s’approcher du moribond avec une assurance écœurante. Il le mit en fuite et se précipita vers le malheureux. Non, il n’était pas mort. Mais il ne pouvait décemment l’exposer à de telles entreprises. Il décida donc de lui construire, à partir du panneau déjà installé, qu’il en profiterait pour opacifier davantage, un abri plus efficace.

En battant les buissons à la recherche de matériaux, il découvrit la grotte aménagée. Son cœur bondit de gratitude et d’admiration, puis se serra de chagrin à l’idée que l’artisan ne pourrait plus jouir de son œuvre. Lui du moins s’en satisferait.

Il mit près de deux heures à bâtir, d’une seule main ou presque, une espèce de hutte, qu’il munit d’une porte. Le tressage de l’ensemble était assez dense pour empêcher un gros oiseau d’y pénétrer. Pendant tout ce temps, l’horizon resta dégagé, et le locataire en titre dormit. À défaut de pouvoir connaître son nom, Axel lui en inventa un. Il l’appela Ulysse.

Exténué, son bras gauche désormais invalide mais comme anesthésié, il s’accorda quelques minutes de repos avant de partir à la recherche d’eau potable. Le soleil était maintenant au zénith, et la peau lui cuisait. Il calma ses brûlures avec de l’huile de moteur.

Comme il rebouchait le réservoir, l’idée lui vint une nouvelle fois de quitter l’île. Mais dans quelle direction ? La quantité d’essence dont il disposait ne lui permettrait pas d’aller bien loin, encore moins de tâtonner ; il risquait de faire une mauvaise rencontre ; et d’abord, il ne pouvait abandonner Ulysse.

Enfin, pour le moment.

De toute façon, il lui faudrait de l’eau.

Allons ! en route.

Avant de reprendre le chemin de la forêt, il se tourna vers l’horizon, où il aperçut un point minuscule.

 

Assise sur le palier, Sabrina sanglotait. Elle s’était fait mal en tombant ; surtout, elle éprouvait un terrible dégoût d’elle-même.

Elle considérait toutes ces personnes allongées, à commencer par ce monsieur qu’elle venait de tuer. Ç’avait été un pur réflexe. Elle n’avait pas supporté de le voir s’en prendre à la dame. Elle avait tiré sans peut-être en avoir conscience, le recul l’avait surprise, elle était tombée sur les fesses et avait lâché son arme, qu’elle regardait maintenant avec horreur. Le fusil de mamie. Jamais auparavant il n’avait donné la mort.

Elle se leva péniblement, les jambes tremblantes, le coccyx endolori, et entra dans la pièce. C’était du propre. Primo, ça ne se fait pas de tirer dans le dos des gens. Puis le canon s’était relevé ; la balle avait fracturé la base du crâne, d’où s’échappait une espèce de bouillie, et était ressortie par un œil.

Sabrina se pencha vers l’autre monsieur, étendu en travers de la porte. Il avait une pique plantée dans la cuisse et avait été frappé à la tête, mais il respirait encore. En découvrant son visage, elle eut une impression de déjà vu, l’émotion, sans doute. Elle s’occuperait de lui plus tard. Elle avait hâte de connaître l’état de la dame.

Elle s’était évanouie ; sa respiration était faible, mais régulière. Sabrina lui tapota les joues.

C’est alors que, des profondeurs de la maison, s’élevèrent des cris inhumains.

 

Demain : Regagner sa place

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