Sauve, 47

Publié le par Louis Racine

Sauve, 47

 

Mardi 11 juillet 2006

Pris mon petit-déjeuner avec l’écureuil. Je suis sûre que c’était lui.

Nous avons échangé sur pas mal de sujets, puis il a détalé avant que je puisse commencer à le dessiner.

Pas de rêve marquant cette nuit, ça suffit comme ça ! Mais, au réveil, un souvenir qui surgit sans prévenir. Raconté à l’écureuil, histoire aussi de fixer les choses.

Non, ce n’est pas ce qui l’a fait partir. La conversation s’est prolongée, puis il a dû vaquer à ses obligations. Tout le temps qu’il a été là, Titus l’a observé avec curiosité, en se tenant à distance respectueuse. Je ne l’avais jamais vu comme ça. D’un autre côté, c’est clair qu’il va mieux. Sa déprime est en train de passer, je ne crois pas qu’elle soit liée à mon nouveau cap, puisqu’elle a commencé à Rodez, peut-être même avant. Peut-être qu’elle date du jour où je l’ai engueulé comme du poisson pourri, le lendemain de sa fugue ? J’ai abusé. Pardon, mon Titus !

Oui, oui, le souvenir : celui d’une époque, en fait. L’époque Parménide. C’était le nom d’un psychologue que ma mère m’avait envoyée voir. J’y suis allée trois ou quatre fois. Monsieur Parménide. Un nom qui ne s’oublie pas, mais qu’il portait mal.

Pourquoi un psychologue ? Parce que je me repliais sur moi-même. Je n’étais pas assez extravertie.

Pourquoi celui-là ? Parce qu’il était parent avec une copine de ma mère, une hôtesse d’Air France qui croyait aux phénomènes paranormaux depuis que sur la photo d’un jeune Antillais en proie à une mystérieuse maladie elle avait reconnu le visage de la grand-mère du petit, qui passait pour une sorcière. Elle nous avait montré la photo, un simple cliché instamatic, et de fait, sur le front du gamin, des ombres dessinaient un visage.

Ma mère ne voulait pas entendre parler de psychiatre, sa fille n’était pas folle, encore moins d’un psychanalyste, car elle ne croyait pas à l’inconscient. En revanche, tout panier-percé qu’elle était, elle pouvait se montrer près de ses sous. Je parierais que ces séances-là ne lui ont rien coûté. Elle s’était du reste habituée à ce que je ne lui coûte rien, et je suis prête à croire que plus tard mon anorexie la arrangée. Ce n’est pas seulement que sa fille restait mince, c’est qu’elle n’était pas chère à nourrir.

Nous n’en sommes pas là. Pour l’instant ma mère s’est brusquement rapprochée de moi, mais d’une manière qui me l'a fait détester, alors que jamais auparavant, vraiment jamais, je n'avais détesté ma mère, je n’aurais sûrement pas cru ça possible.

Pendant quelque temps elle s’est mise à me cajoler d’une drôle de façon, et au lieu de me réconforter ça m’a épouvantée. Cette vie amoureuse dont j’avais à peine éprouvé les prémices, de douloureuses prémices, c’était donc d’une telle importance, si effrayant, que ma mère s’intéressait à moi ? Je ne voulais pas de son attention, la seule qu’il me fallait – il y allait de ma vie ! – c’était celle d’un garçon dont je ne savais pas ce qu’il était devenu, même si je l’apercevais de temps à autre dans des environnements dont je me sentais définitivement exclue et où il avait l’air au contraire très à son aise. Oui, je continuais dêtre passionnément amoureuse de Fabien, sans savoir ce qui marrivait.

Alors, à treize ans, j’ai cessé de m’alimenter, ou plutôt je mangeais n’importe quoi, je suis passé tête de classe, pas seulement la meilleure, mais de très loin la meilleure, on voyait en moi une matheuse, le moment n’était pas venu où les maths me tourneraient le dos, où je reconnaîtrais avoir atteint mes limites, alors que plus secrètement, plus véritablement, je sentirais que ce n’était pas vrai, que c’était juste un blocage ponctuel, qu’il m’aurait suffi d’un peu de temps, d’un peu d’aide, mais depuis ma plus tendre enfance je refusais toute aide, et ce n’est pas les séances chez Parménide qui m’auraient fait changer d’avis !

Oui, petit écureuil, je vais te narrer ça par le menu. J’arrivais. Madame m’ouvrait, puis disparaissait dans les profondeurs de l’appartement. Ça sentait le vinaigre, le déodorant pour chiottes et la soupe de légumes. Parménide m’attendait dans leur salon-salle à manger, son gros ventre étalé devant lui, les jambes écartées. Je m’asseyais à table, pour pouvoir dessiner si je le souhaitais ou s’il me le demandait. Il restait dans son fauteuil, à m’épier à travers ses paupières boursouflées, à me questionner par saccades, le souffle court. De temps en temps il plaisantait, sa blague le faisait rire, et pendant quelques secondes c’était comme si sa voix s’absentait, on n’entendait plus rien qu’une espèce de gargouillis. Je ne me souviens de rien de ce qu’il m’a dit, à part que ça ne m’a jamais paru vrai ni utile. J’avais hâte que ça se termine, de me retrouver au grand air avec ma solitude. Je n’ai pas eu la naïveté de lui parler de mon journal, encore moins de lui montrer, je ne l’ai jamais montré à personne, sauf plus tard à Louis.

C’était pour qu’il voie les dessins que j’avais faits de lui et de Joseph. Il les a trouvés beaux ; mais surtout il m’a complimentée pour mes textes.

Je me suis métamorphosée. Je m’en souviens parfaitement.

Quand j’ai découvert que ma mère avait lu mon journal et qu’elle l’avait montré à son nouveau mec, ce type qui du jour au lendemain était devenu mon beau-père et pour qui nous avions déménagé à Lyon, j’ai voulu mourir.

Ma mère, qui faisait si bien le lien entre les choses – « c’est lié, tout est lié » était une de ses expressions favorites –, n’avait pas compris ce qui se passait, ou l’avait compris de travers. Elle me l’a avoué la dernière fois que nous nous sommes vues, le seul jour peut-être où je l’ai sentie près de moi. Un peu tard. Et elle n’est pas allée jusqu’à me confirmer à son sujet des choses que je suis obligée de supposer, de deviner.

Une parenthèse : c’est drôle comme le fait que tout le monde ait disparu me fait paraître plus proches certains disparus au sens figuré du terme, certains morts. Mais je crois que j’ai déjà écrit ça.

Donc, ma mère avait tout ignoré de mon amour malheureux pour Fabien. Elle était au courant de ma rencontre avec Louis, mais elle restait persuadée qu’il n’était pour moi qu’un copain, que les choses de l’amour ne m’intéressaient pas, que mon refus de partir camper avec lui en était la preuve, ou encore elle me soupçonnait d’être plutôt attirée par les filles, et c’est vrai que mon amitié avec Mathilde avait (vaguement, du bout des doigts si j’ose dire) des à-côtés érotiques, bref, elle voyait bien que j’étais affectée par la mort de Louis, mais elle me croyait surtout malheureuse à Lyon – un semblant de mauvaise conscience ? comme vous y allez ! –, elle a voulu en savoir plus, en avoir le cœur net peut-être s’agissant de mes relations avec Mathilde, elle a fouillé ma chambre et a trouvé mon journal.

Elle la lu, l’a fait lire à son compagnon, et l’a remis en place, se figurant que je ne remarquerais rien.

Plus personne ne l’a vu.

Je me suis traînée quelques semaines, puis j’ai fait ma tentative de suicide. Sans me rater de beaucoup.

De nouveau, je me suis réfugiée dans la réussite scolaire. Les maths commençaient à me résister. Je me battais ! Avec plus ou moins de succès. Mention bien au bac, grâce à la philo !!!

Stof est entré dans ma vie. Nous nous sommes mariés très vite, à Châtellerault, où nous venions de nous installer.

À suivre.

 

(À suivre.)

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