Sauve, 23

Publié le par Louis Racine

Sauve, 23

 

Dimanche 18 juin 2006

Le jour va se lever. Pendant que mon café refroidit, je commence à noter le principal événement de la soirée d’hier.

Ça ne peut pas ne pas être un signe.

J’avais donc opté pour Clermont. Et puis, dans l’après-midi, j’ai eu un doute. Ou plutôt me sont revenus mes scrupules concernant Toulouse. Fatiguée par la recherche d’indices (c’est réellement épuisant), je m’étais assoupie, m’estimant suffisamment protégée par la vigilance de Titus, et j’ai rêvé de Clémence. Ça m’a troublée. Je suis repartie, mais à la première occasion j’ai bifurqué vers l’ouest. Là, j’ai foncé, un peu pour me réveiller, un peu pour m’étourdir, un peu pour me convaincre que je savais enfin où j’allais. La route était droite et la vue dégagée. Je regardais quand même de tous côtés, ça vaut mieux.

Et brusquement, j’ai eu envie de faire demi-tour. Ce qui s’est passé, j’ai fini par retrouver ce que disait Clémence dans mon rêve, jusqu’alors je ne m’en étais pas spécialement souciée parce que j’avais l’impression que je n’y arriverais pas, que c’était perdu, et là j’ai clairement vu et entendu ma fille parler des Anteaume.

Alors j’ai pensé que je me trompais, qu’aller à Toulouse n’avait aucun intérêt, d’ailleurs je l’avais déjà fait, sans rien y gagner qu’un bon accès de déprime, et surtout j’étais en train de me rendre ENFIN compte que JAMAIS Clémence si elle avait échappé à la disparition ne serait restée à Toulouse à m’attendre, mais que PROBABLEMENT si elle avait voulu revoir sa mère elle se serait rapprochée de Nice. Accablée, je me suis arrêtée, j’ai essayé de me calmer, entre deux bordées de jurons, je ne m’imaginais pas en connaître autant ni autant d’insultes que je ne pouvais plus servir à personne désormais sinon à moi-même et ça tombait bien, c’est à moi qu’elles s’adressaient. Au moins, j’ai épargné Titus, et il a dû m’en être reconnaissant, car il a contribué par ses mamours à me rassurer.

N’empêche qu’il m’a bien fallu une heure pour cesser de trembler. J’ai fait demi-tour. Le soir venait, tant pis. Je voulais rejoindre l’autoroute, de toute urgence. J’ai pris le même chemin qu’à l’aller, je savais pouvoir foncer. Moi qui déteste revenir sur mes pas, j’ai trouvé que c’était la meilleure solution.

La route s’allongeait toute droite, à perte de vue, dans une large trouée entre les bois. La voiture y pourchassait son ombre interminable. Alors j’ai vu, j’ai eu tout le temps de voir, loin devant moi, course majestueuse, lente et rapide à la fois, un superbe animal traverser l’espace libre, du nord au sud, un cerf immense, dans la chaude lumière du couchant, spectacle saisissant, pour moi seule, merveille pour Alice qui sanglotait de gratitude, sûre maintenant d’être sur la bonne voie.

Un dernier café, ma deuxième cigarette, et je repars.

 

L’image continue de me hanter, de me bouleverser. Qu’est-ce que ce sera si je rencontre Louis ! Je ne veux pas me faire une idée précise de lui, j’espère qu’il est beau, bien sûr, mais je me dis qu’il le sera de toute façon, je suis prête à tous les défauts, à toutes les déceptions, rien ne peut être pire qu’une solitude aussi peu choisie.

C’est plus fort que moi, je me fais des films. Autant noter ces bribes, ça me soulagera. Je ris beaucoup à certaines situations, à certaines répliques. Par exemple : pas le premier soir !

Ça me rappelle… les Cévennes, tiens !

Je me suis arrêtée un moment d’écrire pour essayer de retrouver une idée qui venait de me traverser l’esprit, mais elle a fui, la garce ! Bon, je la retrouverai.

Il FAUT que je retourne là-bas. Pas nécessairement pour de vrai. Je vais attendre d’être bien en forme, bien reposée, et je m’y projetterai en imagination. Ça n’a encore rien donné, mais je ne désespère pas. Ce n’est pas notre genre, hein, Titus ?

Une chose amusante : dans le genre ce n’est pas mon genre, les jeux de mots. Ils m’ont toujours consternée, même si parfois un peu fascinée. Je n’aime vraiment pas ça. C’est un truc de mecs, j’ai l’impression. Jacques adorait les calembours. De pas tous les mecs, cependant. Douiri, par exemple, ça le rendait haineux qu’on joue avec le langage. Mais lui était obsessionnel.

En fait, ce qui me déplaît, c’est le côté gratuit. Que les mots puissent nous parler, nous dire des choses inattendues, je suis la première à le reconnaître, mais autant ne pas les brusquer. Autant les respecter. Pas les sacraliser pour autant. Juste les aimer pour ce qu’ils sont, sans les triturer à ma guise. Là, quand j’écris, je me sens en phase avec eux. Exactement maintenant. Ici, où je mets ce point sur ce i. Dans Alice il y en a un, dans Alicia il y en a un de trop. Je finirai bien par raconter cette histoire, mais rien ne presse, et puis je ne risque pas de l’oublier. J’écris juste, parce que ça m’amuse : encore (ou plutôt déjà) un Louis !

Aucun n’est de trop !

Et moi ?

Voilà, là, ça commence à devenir gratuit. C’est ça qui est de trop.

Ah ! je sais ce que je voulais dire : je me suis coupé les cheveux !

Défense de rire ! En route !

 

Trois heures pour faire cent kilomètres. Peu importe. Une chose en revanche me soucie, ce voyant qui reste allumé. La voiture semble avoir une faiblesse. C’est peut-être de n’avancer que par à-coups. En même temps, le diesel c’est fait pour ça, il n’y a qu’à voir les taxis. Je suis devenu une espèce de taxi. Sauf que mes clients sont imaginaires.

D’après la notice, en tout cas, c’est un problème au niveau de la distribution. Si Jacques était là, il m’expliquerait ce que ça veut dire, j’aurais droit à tout un cours. Intervenir, ça, il en serait incapable, il me démontrerait longuement pourquoi. Quant à Fabien, il ne jure que par le vélo. Il a toujours entretenu le sien tout seul, non sans pester contre la terre entière, mais sorti de là, je crois bien qu’il ne connaissait pas grand-chose en mécanique. Ce n’est pas à la maison qu’il aurait pu se former !

Ah ! Louis, comme j’aimerais voyager avec vous !

 

(À suivre.)

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