L’Hiver minimal, 47

Publié le par Louis Racine

L’Hiver minimal, 47

 

II

 

J’ai renoncé à décrire l’état de mon âme, tel que l’avaient profondément modifié mes retrouvailles avec une femme que j’avais toujours eu envie de connaître et dont j’avais toujours souhaité d’être aimé. Je me suis borné à relater les événements qui se succédèrent depuis, et me précipitèrent avec leur flot dans l’abîme au fond duquel je repose maintenant, abîme de blancheur et de résignation : un caveau, où m’abandonner en toute immobilité à la calme jouissance qui m’investit, qui pèse légère dans tout mon corps. Définitivement libéré de mes liens, je goûte une indépendance vraie, combien plus vraie que celle dont j’avais cru tout au long de ma vie posséder le secret, être la figure éminente. Si je pouvais n’avoir vécu que pendant deux mois, je voudrais que ce fût pendant cette période précisément qui a commencé avec ma seconde rencontre avec Sandrine, pour finir aujourd’hui.

J’ai sauté toutes les barrières, j’avais les jarrets de l’amour. J’ai accédé à cet état supérieur de détachement et de liberté. Tout m’est à la fois indifférent et cause de joie extrême. Je ne suis plus curieux, je ne suis plus inquiet. Pendant près de cent ans j’avais fui Louis Casaque, en deux mois je le suis devenu.

Cette feuille de papier, ce drap, ce lit, cette armoire ne sont que des choses, et moi je suis le scribe de leur existence, comme je suis mon propre scribe.

Je baisse les yeux, ils se meuvent sans heurt dans leurs orbites, ma tête lentement, majestueusement peut-être, tourne sur mes épaules. Mon regard se pose sur le carrelage. Toutes choses m’émerveillent par leur manque de merveilleux.

Je balaie des yeux le sol jaune et gris, je ne vois pas mes chaussures, mais je sais qu’elles reposent sous mon lit. Parfois d’autres chaussures marchent dans le couloir, j’entends claquer les semelles de bois, crier les semelles de caoutchouc, j’entends le pas chuitant des espadrilles ; et le grincement des chariots ; et des voix, des souffles, des respirations. J’entends respirer le corps médical. Des murmures : le vingt-cinq a fait sous lui, le trente refuse les piqûres, le douze ne passera pas l’hiver.

J’ai levé la tête et, sans cesser d’écrire, je regarde le plafond ; les yeux secs. Le stylo court silencieusement sur le papier, ma main bouge à peine, impondérable ; je regarde le plafond. Blanc.

Je suis là.

Indifférent, tellement différent. Quelque chose comme : je suis là.

Je regarde le plafond ; je n’ai pas d’autre désir.

 

 

 

Publié dans L'Hiver minimal

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