Beau temps pour la vermine, 39

Publié le par Louis Racine

Beau temps pour la vermine, 39Beau temps pour la vermine, 39

 

 

20.

Où Abderrahman regarde par un trou de serrure.

 

Belqadi les conduisit à Pigalle, où ils retrouvèrent la R12.

        – À tout à l’heure, les amis.

        – Entendu, Zitouni, et merci.

        Pendant le trajet, il fut surtout question de l’entrevue avec le commissaire.

        – Plus j’y pense, moins je comprends qu’il nous ait laissés filer, disait Gérard. À moins d’un coup tordu.

        – On est peut-être suivis, dit Paula.

        – Pas l’impression. De toute façon, les flics ont nos coordonnées.

        – Faudra faire attention tout à l’heure, en allant au rendez-vous, dit Abderrahman.

        Gérard freina brutalement, à cause d’un feu rouge.

        – Je sais, s’écria-t-il avant que la voiture soit complètement arrêtée. Je sais ce qui ne va pas, Abder.

        – Quoi ?

        – Tes papiers, au nom de Samir. Avec l’histoire du cadavre dans la cour, les flics ont forcément les noms de tous les locataires. Ils ne peuvent pas ne pas avoir fait le rapprochement.

        – Tu les surestimes, dit Paula.

        – Quel cadavre ? demanda Clotilde.

        – C’est vrai, dit Abderrahman en la serrant contre lui, il faudra que je te raconte ça aussi.

        – Non mais imaginez ce qui va se passer quand les Yaziri rentreront, dit Gérard. Quand est-ce qu’ils rentrent, au fait ?

        – En principe aujourd’hui, dit Abderrahman. Ils sont peut-être déjà là.

        – De toute façon on va se faire baiser.

        – Allons, dit Paula, pas de défaitisme. Et démarre, c’est vert.

        – La couleur de l’espérance, ricana Gérard en écrasant l’accélérateur.

        Chez Gérard, tout le monde fit un brin de toilette, puis on se retrouva dans le salon, autour d’une forêt de bières. Clotilde demanda à téléphoner, pour prévenir ses frères.

        – Attention, dit Gérard, votre ligne est peut-être surveillée.

        – Ne t’inquiète pas ; j’appelle un cousin. Dans un quart d’heure, toute la famille aura été discrètement mise au courant.

        – Le téléphone arabe des Antillais, quoi.

        Elle rit. Pendant qu’elle parlait à son cousin, Abderrahman la caressait des yeux, tendrement, heureux de la revoir telle qu’il l’avait quittée, et elle lui rendait chacun de ses regards, y ajoutant sa propre étincelle. De sorte que Gérard dut répéter sa question.

        – Non, je te demandais simplement de quoi tu voulais nous parler tout à l’heure, avant qu’on rencontre Belchose.

        – Oh ! c’est rien. Des hypothèses.

        Il tira une bonne bouffée de sa cigarette, regarda un instant le plafond, pas trop longtemps quand même, parce qu’il fallait rester humble, et dit :

        – Tout à l’heure, j’ai surpris la conversation des deux types du Canari. Ça m’a étonné, mais j’ai bien entendu qu’ils disaient que Bou Hassana travaillait pour Vasseur.

        – Qui est Bou Hassana ? demanda Gérard.

        – Le cadavre. Si je raisonne bien.

        – Un indic ? dit Paula.

        – Probablement.

        Gérard fit une grimace épouvantable.

        – Ça voudrait dire que les flics t’ont repéré depuis le début ?

        – Disons Vasseur. Les flics, j’en sais rien.

        Clotilde, toujours au téléphone, les interrompit pour leur demander l’adresse de la maison de Saint-Mandé. Puis Gérard reprit :

        – D’accord. Vasseur serait la brebis galeuse dont parlait Larguier.

        – Qui ça ? demanda Abderrahman.

        – Le commissaire.

        – Mais alors, dit Paula, il voudrait le fric, lui aussi ?

        Clotilde raccrocha et vint s’asseoir à côté d’Abderrahman sur le canapé.

        – Ce qui est sûr, dit Gérard, c’est que vous avez intérêt à vous méfier, tous les deux. Brebis galeuse ou pas, Vasseur a des moyens importants. Bon, c’est l’heure. On y va ?

        – Et si Clotilde restait là ? dit Abderrahman.

        Gérard cligna des yeux.

        – Pourquoi ?

        Abderrahman n’osait pas dire qu’il éprouvait soudain une violente appréhension, celle de perdre à nouveau sa bien-aimée.

        – Comme ça. Elle a peut-être besoin de se reposer.

        – Mais non, ça va très bien, Superman, dit Clotilde.

        – Si vous voulez obtenir la place, mieux vaut vous pointer à deux, dit Paula. Allez, en route. Je vous accompagne.

        Ils étaient tous sur le palier, quand le téléphone sonna. Gérard alla répondre. Les autres le voyaient de dos, manipulant ses clés de la main droite. La communication dura un moment. Gérard se taisait. Enfin ils l’entendirent remercier son interlocuteur et raccrocher.

        – C’était Albert. Il a téléphoné à son assurance. Pas de problème.

        – C’est pour dire ça qu’il appelait ? demanda Paula.

        – Non, bien sûr. Ils ont reçu une nouvelle dépêche. Une autopsie a finalement été pratiquée sur le corps de Zaki. Il a été drogué puis balancé dans le canal. La mort remonte à dimanche en fin de matinée.

        – Zaki ? dit Clotilde. Qui était-ce ?

        – L’ex-patron du Canari.

        – Vous pensez qu’il y a un rapport entre ce meurtre et mon enlèvement ?

        – On en est persuadés, dit Paula. Reste à savoir lequel. Bon, on y va ?

        Dans la voiture, ils parlèrent d’Albert.

        – Quel lâcheur, disait Paula. Nous planter là comme des pas fréquentables.

        – Faut le comprendre, disait Gérard. Son boulot, il y tient. Et puis qu’est-ce que ça nous aurait apporté qu’il reste avec nous ? Il nous est bien plus utile là où il est. On a les nouvelles avant tout le monde.

        – Il nous a bien aidés, dit Clotilde.

        Ils approchaient. Abderrahman s’extasia sur le bois de Vincennes, qu’il n’avait jamais vu.

        – On dirait la forêt de la Maâmora.

        – Calme-toi, dit Gérard. D’abord c’est pas le seul bois autour de Paris. Ensuite c’est là qu’ils ont tué Mériem.

        – Mériem ? cria Clotilde.

        Ç’avait été comme un réflexe, Ses traits avaient pris une expression douloureuse.

        – Tu ne souviens d’elle ? demanda Paula.

        – Non.

        Elle se passa la main sur le front.

        – Si, pourtant, mais très mal. C’était... une des filles, hein ? Je crois qu’elle était très gentille.

        – Très, dit Paula.

        Personne ne dit plus rien de tout le trajet. Enfin Gérard se gara le long d’un trottoir, juste derrière la Fuego de Belqadi.

        – Bon, dit-il, on vous attend.

        – Comment ? dit Abderrahman. Vous allez rester là ?

        – On a la radio.

        – C’est con, dit Clotilde, venez.

        – On n’est pas invités.

        – On rentrera bien tout seuls, dit Abderrahman.

        – Dangereux.

        – Alors allez faire un tour, et on se retrouve ici dans une heure.

        – Non, dit Paula. On reste.

        Et pour montrer que c’était son dernier mot, elle mit une cassette dans le lecteur, n’importe laquelle, celle qui lui tomba sous la main.

        – D’accord, dit Abderrahman. À tout à l’heure.

 

(À suivre.)

Précédemment :

Chapitre 1er

Où l’on fait la connaissance d’Abderrahman, d’Ali et de quelques autres.

Chapitre 2

Où le fugitif reçoit une aide miraculeuse, mais tout aussi fugitive.

 Chapitre 3

Où les sauveurs deviennent persécuteurs.

Chapitre 4

Où les issues deviennent des impasses, et inversement.

Chapitre 5

Où Abderrahman se reçoit mal.

Chapitre 6

Où Abderrahman est bien reçu.

Chapitre 7

Où Abderrahman change de résidence.

Chapitre 8

Où la température monte de quelques degrés.

Chapitre 9

Où Abderrahman fait l’expérience du vide.

Chapitre 10

Où l’on apprend enfin des nouvelles de Clotilde.

Chapitre 11

Où Abderrahman se heurte à une barrière linguistique.

Chapitre 12

Où Abderrahman se laisse guider par une jolie écriture.

Chapitre 13

Où Abderrahman se lève tard.

Chapitre 14

Où Abderrahman se lève tôt.

Chapitre 15

Où Abderrahman rencontre un nouvel allié, et un nouvel obstacle.

Chapitre 16

Où Abderrahman pratique en rêve un sport inédit.

Chapitre 17

Où l’on fait la connaissance du grand Albert.

Chapitre 18

Où se commettent des excès de vitesse.

Chapitre 19

Où se produisent d’émouvantes retrouvailles, et d’autres qui le sont moins.

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