Bakounine n’est pas rentré, 19

Publié le par Louis Racine

Bakounine n’est pas rentré, 19

 

« C’est moi qui leur porte la poisse, ou quoi ? »

Ce soupçon m’était venu récemment à propos de Géraldine. Il a ressurgi avec plus d’acuité encore. Je ne cédais certes pas à l’illusion, mais je rappelle quand même que deux semaines plus tôt Jean-Guy m’avait fait le coup de l’attaque foudroyante, un gendarme, et maintenant un flic, lui ne s’en tirerait pas, je l’ai senti tout de suite, alors que l’environnement pouvait laisser au contraire espérer des soins rapides et efficaces, c’est vrai, quand on peut, autant attendre pour se trouver mal d’être à l’hôpital, sauf que là ça ne lui servait à rien, il aurait mieux fait d’apporter son cercueil, le genre de précaution auquel on pense rarement. Du reste une infirmière est arrivée, avant même que je songe à réagir, pas de doute, on était en milieu hospitalier, j’ai compris que Géraldine avait actionné dès son réveil la sonnette qui reposait sur ses draps, Géraldine dont il faut que je vous touche un mot, de toute façon, pour le flic, qu’est-ce que je vous disais, il n’y a rien à faire.

Pendant donc que l’infirmière constatait le décès puis rameutait ses collègues, j’essayais de calmer ma copine secouée sur son lit de soubresauts bouleversants surtout chez cette fille si calme d’habitude. Imaginez, elle se réveille pour être confrontée à une scène flippante, elle sort à peine de douloureuses épreuves, peut-être se croit-elle en plein cauchemar, et voilà que le cauchemar en secrète un autre, il y a de quoi faire une crise de nerfs. J’assistais impuissant à ce triste spectacle, j’en voulais à la terre entière, quelque chose s’était brisé en moi, ou j’avais changé d’un coup, je n’aurais su définir ce que je ressentais en plus d’une sorte d’accablement résigné en voyant une infirmière puis une seconde s’évertuer à leur tour à tranquilliser la malheureuse. Elles ont fini par lui injecter quelque chose, à elle déjà traversée par toute une tuyauterie, et elle est retombée comme une carpe vaincue.

On a emporté le flic sur une civière. J’ai appris plus tard qu’il se prénommait Léon, ce qui m’eût aussitôt évoqué certaine chanson de Boby Lapointe. Mais pour l’instant je n’avais pas envie de rigoler. En plus je me suis rendu compte qu’avec tous ces événements j’allais être en retard au rendez-vous avec Paula, j’ai déposé un baiser sur le front de Géraldine à nouveau endormie, j’ai été frappé par la différence avec tout à l’heure, sa peau semblait factice, de très fines gouttelettes y perlaient qui m’ont paru froides, je suis parti mécontent de moi, de tout le monde, j’avais l’impression de fuir comme le dernier des lâches, retard pour retard je n’ai pas pris le métro, j’étais certain d’y faire un malaise, j’ai couru, j’ai toujours aimé courir, sauf en groupe, et encore moins sous un dossard, si vous avez vu ce jour-là un type portant un numéro relier à pied l’hôpital Lariboisière à la gare Saint-Lazare en dix minutes, ce n’était pas moi. Mais dix minutes, ça c’est sûr.

Juste comme j’arrivais, Paula tournait les talons. Quant à moi, je l’ai d’abord prise pour une voyageuse, à cause de son sac à dos. Puis j’ai reconnu son béret, son élégante démarche et ses mèches cuivrées. Je l’ai rejointe, prise aux épaules, Alors quoi, on s’impatiente ? Elle a ri, radieuse, cette fille savait rayonner tout en gardant un fond de gravité, Tu charries, elle a fait, je commençais à m’inquiéter, Je te raconterai, j’ai dit, mais d’abord l’intendance.

Bon, ça n’a pas traîné, on a été servis par la chance ou par l’inspiration ou les deux, on a trouvé plein de trucs super à pas trop cher, ce qui fait qu’à six heures on avait fini, moi j’avais besoin de souffler, reprendre le métro ou même le bus dans la foulée c’était au-dessus de mes forces, un taxi, rien que l’idée me donnait la gerbe, heureusement Paula connaissait un endroit sympa dans le quartier, elle m’a emmené dans un bar à porto, quand j’ai vu la devanture j’ai hésité, trop sélect, mais je me suis laissé convaincre et je n’ai pas regretté, l’endroit était des plus reposants, des plus cosy, cela dit vingt minutes m’ont suffi, le porto m’a fait penser à ma mère même si des comme celui-là elle n’en avait jamais bu, en tout cas il m’a bien aidé à raconter l’hosto.

Ma copine a compati tant et plus. Mais elle ne perdait pas le nord, et sur le chemin de la station de métro elle m’a demandé si j’avais pu poser au commissaire la question de savoir si Derambure et Isabelle se connaissaient. Je lui ai expliqué que notre conversation avait été interrompue par l’arrivée du flic censé monter la garde. On a déploré ce contretemps, on a continué à causer de tout ça dans la rame, on échangeait des regards complices en lorgnant vers nos sacs d’emplettes, le trajet m’a paru court. Porte de Clichy, avant de monter dans le bus, on s’est fait un câlin, c’est fou ce que ça vous transfigure un lieu public et familier, ces dernières heures de l’année, décidément, étaient d’une intensité extraordinaire, et ce n’est pas fini, sur les cent derniers mètres on a piqué un sprint en apercevant Constant.

Il descendait de voiture. Il avait trouvé à garer juste devant l’entrée de l’immeuble. J’étais heureux de les revoir la Baignoire et lui, comme après une longue séparation.

« Désolé, j’ai fait, j’avais oublié que tu devais rappeler dans l’après-midi, on avait des courses à faire...

– T’inquiète, ta mère m’a répondu.

– Ma mère ? Y a combien de temps ?

– J’sais pas, deux heures.

– Elle est rentrée plus tôt, alors. »

Ça me paraissait louche.

« Et toi, tu peux pas rester, j’imagine.

– Erreur, il a dit, triomphant, vous allez devoir supporter ma compagnie jusqu’à l’année prochaine ! »

Puis, tandis qu’il prenait quelque chose dans sa voiture avant de verrouiller les portières :

« Norbert, au fait, on a retrouvé ton bouquin. C’est Félix qui l’a.

– Oui, merci. Tu réveillonnes avec nous, alors ? »

Dans l’escalier, il nous a raconté que devant l’inanité de ses efforts pour consoler son vieux et l’amener à davantage de jovialité il avait fini par le laisser en plan. Il assumait, qu’il disait – d’une voix tremblante. Entre faire la gueule et faire la fête, son père avait choisi. Tant pis pour lui. Il avait donc rappelé chez nous pour me demander si ma proposition tenait toujours, et ma mère, apprenant qu’ils étaient à Paris, les avait invités.

« Elle voulait qu’on vienne tous les deux, mais je lui ai dit que quand le paternel était comme ça il n’y avait rien à faire qu’à l’abandonner à son sort et à sa solitude, qu’il allait se saouler toute la soirée en écoutant du Brahms ou du Bécaud et en chialant. La chose qui m’embête... »

Il s’était arrêté devant la porte de Derambure et déchiffrait son nom près de la sonnette.

« C’est donc là qu’il habite, le Maurice ? Il est chez lui ?

– J’en sais rien, mais peu importe, on va t’expliquer. Allez, encore un étage. C’est quoi, ce qui t’embête ?

– C’est qu’il risque d’appeler ma sœur. J’ai essayé de la prévenir mais elle ne répondait pas.

– T’as une sœur, toi ? Une grande sœur, je suppose. »

J’aurais été incapable de dire d’où me venait cette intuition, mais c’est un fait, j’ai un don pour ces choses-là. Je devine facilement si les gens de mon âge sont enfants uniques ou ont des frères ou des sœurs et quel rang ils occupent.

« Oui, elle vit aux États-Unis. Je ne la vois pas souvent. »

On était arrivés. J’ai sonné, histoire de permettre à la matouze d’accueillir notre copain. Paula et moi on l’a encadré, la porte s’est ouverte, et ce n’est pas ma mère qui était devant nous, c’était Félix !

« Soyez les bienvenus », il a fait. « Madame vous prie de l’excuser, elle termine de se préparer.

– Félix ! j’ai crié avec un enthousiasme qui m’a surpris moi-même, c’est génial ! Et moi qui n’avais même pas pensé à t’inviter !

– Mais moi j’y ai pensé », a crié Annette dans son dos.

On s’est tous retrouvés dans l’entrée, avec Carmen qui rappliquait, maquillée, paraissant dix ans de plus. Puis ç’a été au tour de la matouze de nous éblouir, toute pimpante dans sa robe de soirée.

« C’est bien joli, j’ai dit, mais on va être un peu justes en bouffe. Si on avait su...

– Tu rigoles, a dit ma mère, on a largement de quoi, d’autant plus que tes amis sont pas venus les mains vides. »

Elle désignait l’espèce de gros tube que Constant avait pris dans sa voiture : il contenait une rouille de champagne !

« Félix a apporté du foie gras ! » a fièrement ajouté ma sœur.

« Et sa guitare ! » a dit Carmen.

« Et un peu de lecture », a complété l’intéressé.

On s’était transportés dans le salon. Il m’a tendu un livre sommairement empaqueté.

« Tu verras, c’est pas mal. À mon avis, ça va marcher.

– Tu crois ?

– La critique est aisée, mais l’art est Minotaure. »

Une ombre d’instant, je me suis demandé si Félix mesurait ce que cette Odyssée représentait pour moi. Et une autre pensée m’a traversé l’esprit, c’est qu’il était dommage que Rémi n’ait pu se joindre à nous. S’il n’avait pas été retenu ailleurs, il eût fallu l’inviter. Du temps où je n’étais pas pressé de les mettre en relation je me disais que Félix et lui se seraient bien entendus. Peut-être que ça contribuait à mon inertie, par une forme de jalousie anticipée. Maintenant que je savais qu’ils se connaissaient, autant ne pas éveiller leurs soupçons. Restait la matouze, déjà entichée de Rémi avant de l’avoir rencontré. Bon, j’aurais pris sur moi. Tiens, d’ailleurs, qu’est-ce qu’elle penserait de Félix, de Constant ? De là je suis passé à mes autres copains avec qui j’aurais aimé partager ce bon moment. Plus on est de fous... Clémentine, que j’aurais eu d’autant moins de scrupules à imposer à Paula et à Carmen qu’elle sortait officiellement donc exclusivement avec Rémi – ça ne se lisait quand même pas sur ma figure que j’en pinçais pour cette fille. Et, côté bahut, Douvenou, mon protecteur. Au fait, avait-il été mis au courant de l’assassinat ? Oh ! il devait être parti pour les vacances, genre sports d’hiver, il allait nous revenir tout bronzé. Lui aussi avait la cote auprès de ma mère, qui pourtant ne l’avait jamais vu.

Mais elle m’a tué.

« Et ton copain Louis, tu l’as pas invité ? » elle a fait en plantant ses yeux droit dans les miens. Tout le monde a compris qu’elle ne rigolait pas complètement, mais que le fond de l’affaire resterait un secret entre elle et moi. J’ai cherché Paula du regard. Elle avait disparu.

« Et toi, t’as pas invité le commissaire ? »

C’était d’autant plus minable comme parade que je réalisais que du fait de notre retour ma mère et lui avaient dû renoncer à leur réveillon en tête à tête. J’imaginais la scène : ma mère insistant pour qu’il soit des nôtres, lui préférant s’éclipser pour nous laisser savourer nos retrouvailles. J’ai essayé de rattraper ma gaffe en parlant de Jules, qui lui aussi manquerait à l’appel. En tout cas, j’ai fait, il n’y a pas de danger qu’il passe la soirée avec son frère. Raison de plus pour ne les inviter ni l’un ni l’autre, a dit ma sœur. Ma Nanette, si sage à son âge !

Paula n’était toujours pas revenue. J’espérais qu’elle ne faisait pas la tête rapport à mon étourderie et au bouquin qu’elle m’avait offert, mais je me suis raisonné, pas le genre de cette fille, l’indulgence même. J’ai donc patienté en blaguant avec Félix, il n’a pas tardé à sortir sa guitare, et ma mère a parlé de déboucher une première bouteille de champagne.

« On n’attend pas Paula ? » j’ai dit.

« Ça va la faire venir », a répondu Félix.

En effet. Pile comme avec un pop ! d’anthologie le bouchon sautait au nez de Constant qui s’en est mis partout, Paula nous a gratifiés d’une apparition sensationnelle, marquant une pause à l’entrée du salon pour mieux nous sidérer, à part ça tout humble, toute modeste, comme trop sûre de son coup. Paula ! si tu savais ce que ça me chagrine de ne pouvoir te serrer contre moi en ce moment !

Mais peut-être que tu le sais.

Vous connaissez mes limites dans le descriptif, en plus question mode et fringues je suis inculte, celles et ceux qui voudraient une photo (pourquoi pas un film super-8 ?) n’ont qu’à se consoler au champagne, ça, ça se trouve, mais puisque vous y tenez je vous livre en vrac ces quelques éléments, dont certains sont des rappels.

Les cachotteries de Paula en début d’après-midi, c’était ça. Elle était allée prendre chez elle de quoi s’habiller et se maquiller pour la soirée, d’où le sac à dos. À notre arrivée, elle avait foncé à la salle de bains, succédant à ma mère, et le résultat était époustouflant. Elle avait passé une longue robe noire satinée qui lui affinait la taille et lui faisait des jambes interminables, relevé sa chevelure par un bandeau noir en partie dissimulé par ses mèches retombantes et ainsi dégagé sa nuque – fine, incroyablement émouvante avec ses charmants friselis – et ses oreilles, les plus mignonnes du monde, comme deux petits coquillages à croquer. Elle était chaussée d’escarpins dont le rouge verni et sombre s’harmonisait à merveille avec le noir de sa robe et l’acajou de ses cheveux naturellement auburn. Son teint lumineux, ses yeux dorés discrètement soulignés de bistre, ses bras nus jusqu’aux épaules, son col droit orné d’un brillant qui à lui seul jetait mille feux, tout contribuait à faire de ma copine la reine de la soirée, une star, mais quand elle a gracieusement pivoté sur elle-même, nous découvrant par une large ouverture circulaire son dos lisse à l’incarnat délicat, ceux qui avaient commencé à applaudir ont battu des mains à tout rompre, entraînant les autres, et ce vacarme m’a bien arrangé, personne ne s’est aperçu que mon exclamation de ravissement s’achevait en sanglot.

J’ai craint fugitivement que ma mère et ma cousine ne prennent mal d’être ainsi éclipsées. Cependant leur admiration était si sincère et si fervente, et Paula si simple et si discrète dans ses manières, qu’on eût dit qu’avaient éclos en même temps la beauté à nos yeux et dans nos cœurs la bonté. Quand, au cours de la soirée, ma mère m’a pris à l’écart dans la cuisine pour me parler de Paula, elle aussi a eu un débordement d’émotion. J’en ai été secoué. C’était sentir à la fois, au plus profond de nous, tout ce qui nous réunissait et tout ce qui nous séparait. Pour calmer le jeu, elle a changé de sujet :

« Ton Constant, là, il ne serait pas à voile et à vapeur ? »

Bon, je n’allais pas refaire son éducation. Ou disons que ça pouvait attendre l’année prochaine. Comme de savoir pourquoi elle était rentrée plus tôt du boulot. Là-dessus, motus.

Allez, à table !

On s’est gentiment gobergés. Je ne vous apprendrai pas ce qu’est un réveillon. Il était entendu que les copains resteraient dormir, je m’étais réservé le fauteuil, au mépris des protestations de la matouze qui quand même reconnaissait devoir plus de confort à ses hôtes. Félix avait prétendu préférer la baignoire, Les baignoires, ça me connaît, il avait fallu expliquer la blague à la matouze, à cette heure-là le joyeux drille n’était pas encore totalement bourré, par la suite ses plaisanteries se sont révélées plus difficiles à comprendre, même pour nous, et surtout moins joyeuses. Il y a eu comme ça, au paroxysme de notre gaieté – pour cette raison, peut-être –, des bouffées de tristesse. Chacun de nous avait sujet de se morfondre et se laissait aller de temps à autre à la morosité avant de vérifier de nouveau le pouvoir euphorisant du champagne ou d’autres boissons alcoolisées. La génération précédente était pour beaucoup dans ces accès de flip, pour des motifs et selon des cas de figure variés. Constant pensait à ses parents, Paula aux siens, Carmen également. Nous n’étions pas en reste ma sœur et moi, qui pensions à notre père. À quoi, à qui pensaient ma mère et Félix, ça restait moins net, et de moins en moins dans le cas du second. Ce qui est sûr, c’est que chez tous l’angoisse revenait inlassablement à la charge, repoussée à grands coups de godets et de calembours, et en particulier chez ceux qui avaient connu Isabelle et qui connaissaient Géraldine, autrement dit : moi. Malgré tout le tapage ambiant, il m’arrivait de me sentir affreusement seul, d’une solitude partagée avec les victimes. Avec Isabelle, ou plutôt avec son souvenir, impossible à fuir comme à habiter. Avec Géraldine, dont je m’étonnais de n’avoir rencontré aucun des siens à l’hôpital, qu’est-ce que c’étaient que ces gens ? Une idée : dès le lendemain, j’appellerais Blanche Prével pour lui souhaiter la bonne année. Je me renseignerais aussi sur ce que je pouvais faire en mémoire d’Isabelle, sur les cérémonies prévues. Je tenterais ma chance côté Douvenou.

Je me versais à boire, et je regagnais le cercle des fêtards. On chantait, on braillait, on fumait pas mal aussi, il a fallu aérer, je suis resté un moment à la fenêtre, surpris par la douceur de la nuit, j’ai songé aux flics chargés de nous protéger, est-ce qu’on les avait privés de réveillon ? À tout hasard, j’ai levé mon verre en direction de l’immeuble d’en face, mais quand même je me suis penché pour voir s’il y avait de la lumière chez Maurice. Non, ses fenêtres étaient obscures. Brusquement j’ai eu le vertige, je me suis senti basculer en avant, j’ai hurlé, quelqu’un m’a ceinturé, ramené dans le salon, c’était Constant, Ben alors ? a dit Carmen en écartant de sa bouche une tartine moitié foie gras moitié œufs de lump, on tient plus debout ? Ce n’est plus dix, mais vingt ans qu’elle avait pris. Je ne la reconnaissais plus. Aujourd’hui, j’ai pour elle une pensée toute spéciale. Pour elle, et... et le téléphone a sonné.

On a regardé nos montres. Il était minuit moins le quart. Trop tôt pour des vœux.

Annette était la plus proche de l’entrée, mais, à cause d’une récente expérience, elle s’est figée. Carmen hésitait, Paula et nos copains plus encore, j’ai lu dans les yeux de ma mère qu’elle pensait comme moi à mon père et doutait comme moi qu’il eût osé l’affronter.

« Eh ben mais répondez ! » elle a lancé. Je me suis dévoué.

« Si c’est le voisin, passe-le moi, il trouvera à qui parler ! » elle a ajouté, tandis que Félix pronostiquait une erreur : un soir de réveillon, on devait battre des records.

J’ai décroché. Tout le monde dans le salon s’est tu.

D’abord je n’ai rien entendu, puis quelque chose comme un souffle m’est parvenu, on aurait dit que la personne qui appelait téléphonait d’une cabine en plein vent et qu’au bout de quelques secondes elle avait lâché le combiné, le laissant se balancer au bout du fil.

Las de multiplier en vain les « Allô ? », je me suis tourné vers les autres pour les consulter sur l’utilité d’attendre.

« Raccroche, va », a crié ma mère. « Si c’est important il rappellera.

– Il ou elle », j’ai dit en m’exécutant.

Quelques minutes plus tard un pop ! retentissant, tout aussi exemplaire et non moins éclaboussant que les précédents, saluait l’avènement de la nouvelle année. On s’est embrassés avec effusion. Il m’a semblé que Carmen s’attardait entre mes bras. T’es contente ? j’ai demandé sans bien comprendre le sens de ma question. Et toi ? elle a fait.

Puis elle a couru se jeter au cou de Félix.

 

(À suivre.)

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