Sauve, 43
Vendredi 7 juillet 2006
Ça y est ! Contact établi ! Et quel contact !
Hier matin, arrivée à La Primaube. Aucune trace de Louis, mais le sentiment très vif que je brûle. D’où me vient-il ? Mystère.
Mais pas besoin d’indices, ni de regarder la carte. Je SAIS que je dois prendre la direction de Villefranche.
À Baraqueville, je m’arrête devant la pancarte Albi. Bon, Titus, qu’est-ce qu’on fait ? Je tire au sort ?
Un petit coup de pile ou face, et c’est Albi qui gagne. En avant !
J’ai à peine démarré que Titus se met à hurler, mais à hurler ! J’ai cru qu’il avait été attaqué par une bestiole genre frelon ou qu’une vipère je ne sais comment était entrée dans la voiture. Je m’arrête, il se calme. Je repars, hurlements. Qu’y a-t-il, mon chien ? C’est Albi qui ne te plaît pas ?
Je fais demi-tour, il remue la queue, tout joyeux.
D’accord, Titus décide. Pourquoi pas, après tout ?
N’empêche, ça me trouble. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. J’ai à peine roulé cinq kilomètres que je sens la voiture se déporter nettement sur la gauche. Comme je viens de traverser une section semée de gravillons, je me dis que l’un d’eux s’est peut-être coincé quelque part dans la direction. J’essaie de redresser, mais c’est de plus en plus difficile, on dirait qu’une main invisible tourne le volant dans l’autre sens. La terreur me gagne, mes cheveux se dressent sur ma tête, je me raisonne pourtant, c’est juste un pépin mécanique. Tu parles ! Une sueur glacée me dégouline le long du dos, et voilà que Titus saute sur le siège passager, s’y installe et commence à me tirer par la manche. C’en est trop, je m’arrête, et je cale.
Impossible de redémarrer. De toute façon je ne pouvais pas aller bien loin comme ça.
Titus alors bondit par la fenêtre et se met à courir sur la route devant moi. Eh ! je ne continue pas à pied ! Je ne m’en fais pas trop, je me dis que les choses vont s’arranger, que Titus finira par revenir, que j’ai d’abord et surtout besoin d’une cigarette, je descends, je m’étire, il fait beau, je ne comprends rien à cette histoire de voiture mais ce n’est pas très grave, rien n’est vraiment grave au fond, en réalité je me mens, je sens l’angoisse qui commence à me presser le ventre malgré la cigarette.
Titus s’est arrêté à la hauteur d’un petit bois et semble m’attendre, tourné vers moi, il ne bouge plus. Je prends mes jumelles, enfin ma lunette. Je ne me suis pas trompée, il remue la queue en me regardant, il n’a pas besoin de longue-vue, lui. Mais sans elle je n’aurais pas distingué ce chemin à l’entrée duquel il s’est campé, à droite de la route, et qui s’enfonce entre les arbres.
Mon rythme cardiaque s’accélère d’un coup. Un chemin ! Je parie que Titus a trouvé la trace de Louis.
Je dois lutter contre la tentation de me précipiter vers mon chien. La prudence s’impose. Je retourne à la voiture. Le moteur fait la sourde oreille, pourtant j’ai l’impression que le démarreur s’entend à des kilomètres. Je renonce à épuiser complètement la batterie. Je prends mon flingue et quelques autres objets utiles, et en route !
Je ne vois plus Titus. Il a dû s’engager sur le chemin. J’ai peut-être trois cents mètres à couvrir. J’accélère le pas. J’attrape vite un point de côté. Des siècles que ça ne m’était pas arrivé ! J’essaie de respirer bien à fond, j’allonge ma foulée, c’est de pire en pire. Je dois m’arrêter. C’est alors que l’air ambiant brusquement semble se contracter puis se détendre.
Un coup de feu.
Aussitôt, je suis comme vidée, anéantie.
Titus !
L’espace d’un instant, je me ravise. Non, pas forcément un coup de feu ; ça peut être un pétard, ou une explosion, une bouteille de gaz restée au soleil, je ne sais pas, moi.
Peine perdue : de toute façon ce n’est pas bon.
Nouvelle détonation, plus forte.
Titus !
J’oublie mon point de côté et cours vers mon chien, certaine pourtant d’arriver trop tard, de ne plus trouver que son cadavre encore chaud, consciente aussi du risque de me faire descendre à mon tour, je me sens broyée entre deux falaises de protestations, deux hurlements : Titus ! et : Fuis !
Le chemin est en vue, toujours pas de Titus. Ce que je fais est une folie.
Un panneau de signalisation triangulaire est posé de l’autre côté de la route. Une chance à saisir ! Je m’approche. « Gravillons », bien sûr. Ce n’est pas léger, léger, mais ça me fera un bon bouclier ! Ainsi équipée, pistolet au poing, j’avance sans bruit vers l’entrée du petit bois. Plantée au bord du chemin, une pancarte délabrée indique « Belpech ». Un lieu-dit.
Tout est calme. Pas de trace de mon chien. Dans le parfait silence, je crois entendre son halètement, mais c’est peut-être ma propre respiration. Je n’ose appeler. Une branche craque sous mon pied, je m’immobilise, j’attends. Rien.
Le chemin est étroit, serpente entre les troncs. Loin devant, j’aperçois une masse claire, un bâtiment. Je fouille du regard le bois à la recherche d’un tireur embusqué, en vain. Et soudain…
Soudain, le bois résonne d’une immense clameur, unanime et joyeuse : « SURPRISE ! » – tandis que de derrière chaque tronc, chaque buisson, surgit un homme, une femme, un enfant, tout un peuple d’inconnus qui convergent vers moi, et que sur le chemin, venant de la maison entraperçue, s’avance une procession, chantant quelque chose que je n’identifie pas tout d’abord. Titus jailli on ne sait d’où se jette dans mes bras, je laisse tomber mon bouclier, qui se retourne, et je vois que j’avais mal lu : ce n’est pas Gravillons, mais Gravlax. Je suis maintenant entourée de gens souriants, qui entonnent à leur tour le chant du cortège dont la tête est arrivée près de moi, je comprends enfin les paroles, je reconnais l’animal dont ils transportent la statue, j’éclate de rire, et je dis en moi-même : sacré Louis !