Bible
Non, il n’y a pas lieu de s’énerver. Je ne vais pas faire mon Norbert. Mais, comment vous dire ? Je sens que ce qui m’arrive, et qui est, certes, ridiculement négligeable à côté des horreurs que subissent pendant ce temps des millions d’êtres humains par le monde, n’est pas totalement insignifiant. Les faits vous paraîtront à coup sûr minimes, et ils le sont. Accordez-moi néanmoins quelques minutes d’attention, car ce qu’ils recouvrent et révèlent est à mon avis gravissime.
Voilà des semaines que je me bats, moi, minuscule usager de la Toile, contre deux géants notoires et qui en l’occurrence marchent main dans la main : Amazon et Google.
Ni beaucoup plus ni beaucoup moins narcissique qu’un autre, disons dans la moyenne, j’ai un jour saisi sur Google la requête « les feuilletons de louis racine », entre guillemets, et j’ai sélectionné la rubrique Images, histoire de mesurer la visibilité sur le web d’un blog qui est une part de moi-même et dont je rappelle les principes : livrer aux amateurs et aux amatrices des textes que j’ai eu et/ou que j’ai plaisir à écrire, pour le seul plaisir d’être lu et de recevoir des commentaires, ce qui peut s’apparenter encore au narcissisme, mais sûrement pas au commerce. Cette fantaisie sans but lucratif me coûte quelques dizaines d’euros par an, car je paye (et sans barguigner) la plate-forme qui m’héberge, mais je n’admets aucune publicité dans mes pages, et j’ai choisi un hébergeur qui m’autorisait cette option. En publiant mes feuilletons et mes petits romans, je ne cherche nullement à gagner de l’argent, heureux quand je gagne des lecteurs.
Or, parmi les premiers résultats de la requête, apparaissait un lien vers un produit Amazon, une collection de bouquins dont l’auteur est un certain Jean Louis Racine et qui s’intitulent, comme c’est charmant, La Bible du bail commercial. Vous me connaissez, je n’ai pas l’esprit mal tourné de ceux qui verraient là-dedans je ne sais quel reflet de l’impérialisme américain stupide et arrogant, engraissé aux slogans genre In God we trust (le contraire du délire). Non. J’ai seulement fait remarquer à Google qu’il y avait bévue, un peu étonnante vu l’emploi des guillemets dans la formulation de la requête, et je demandais gentiment qu’elle soit réparée.
Elle l’a été pendant quelques heures. Preuve qu’il y a bel et bien communication. Cela dit, je n’ai jamais reçu aucune réponse écrite du géant. Ni à cette occasion, ni par la suite.
Car le cocasse, c’est que l’image est revenue. Je me suis de nouveau manifesté, elle a disparu. Puis a commencé une partie de cache-cache de plus en plus horripilante, mes messages ont peu à peu gagné en causticité, et par exemple je faisais valoir ce qu’une erreur volontaire aurait eu de particulièrement accablant pour Amazon, réduit à se faire de la pub sur le dos d’un blog désintéressé en cherchant à placer des produits à l’idéologie opposée à celle dudit blog, et pour Google, complice de ces pratiques de voyous. J’avoue, je me suis, quand même, à force, un petit peu emporté. Et j’ai bêtement cru avoir gagné quand pendant toute une demi-journée l’indésirable, le détestable lien s’est effacé de cette première page de résultats.
Quel idiot ! Maintenant il occupe la position de tête, et mes protestations n’y changent plus rien. Mais j’avais menacé Google et Amazon (car ils ont évidemment partie liée) de dénoncer ces pratiques sur mon blog et sur les réseaux sociaux, d’où ce message. On verra bien ce que ça donnera.
Je ne me berce pas d’illusions. Mais je n’ai pas envie de me priver de faire si peu que ce soit de tort à ces Polyphèmes « modernes ». J’ai conscience qu’il y a d’autres combats et plus urgents à mener, mais nous aurions tort de sous-estimer le danger de l’impérialisme quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, surtout s’il emprunte les autoroutes de l’information. Et la probabilité de susciter ou l’indifférence ou des réactions fatalistes (On le sait bien depuis longtemps, mais que veux-tu qu’on y fasse ?) ne me découragera jamais de mettre mes amis en garde contre le terrorisme soft de nos nouveaux propriétaires. Je n’irai pas jusqu’à appeler au boycott de Google et d’Amazon (encore que je sois depuis longtemps excédé – malgré toute l’affection que je leur porte – par la légèreté de ceux de mes proches qui s’en remettent systématiquement à Google pour tout renseignement, fût-ce une adresse ou un numéro de téléphone, ou à Amazon pour leurs emplettes, y compris les cadeaux qu’ils me font), mais si vous pouviez être nombreux à relayer ce message, j’aurais le sentiment que nous nous faisons un tout petit peu moins entuber par le nouveau pouvoir mondial, au sourire si éclatant (rien que la tronche et la pose du zigue Jean Louis Racine – voilà que je vous incite à consulter Google ! – résument l’oppression WASP).