Le Sourire du Scribe, 38
– Bravo ! s’exclama-t-il, les yeux brillants. Vous avez mis dans le mille. Je parie qu’il était occupé à trafiquer une bagnole.
Et il s’aplatit d’abord sous la BX, qu’il ausculta longuement à la lueur de sa lampe torche.
– Tout paraît normal, dit-il enfin. Passons à la mienne.
La Mercedes eut droit par surcroît à un examen interne. J’en profitai pour jeter un œil à l’énorme V8. Georges s’en aperçut. Il prit un air sévère.
– Un peu de décence, jeune homme !
Et, comme il ne trouvait rien :
– Bon, déclara-t-il en rabattant le capot, il va falloir vous croire. Surtout que je ne vois pas dans quel but vous auriez inventé cet X. Ce serait encore plus gratuit que pour le cycliste. Néanmoins, je n’aime pas le personnage que vous jouez dans cette affaire. Vous êtes à la fois trop extérieur et trop impliqué.
– Tranquillisez-vous ; je serai peut-être la prochaine victime.
– Vous vous croyez si intéressant ?
Nous rentrâmes. Les Mouzon étaient couchés, mais Ursule et Jacques écoutèrent avec intérêt notre compte rendu. Puis nous discutâmes des suites à donner à l’incident ; Jacques devait-il porter plainte ?
– Contre X, ironisa Georges.
– Mieux vaut attendre, dit Jacques. Cela n’a peut-être rien à voir avec l’affaire.
– Attendre quoi ? s’écria Ursule. Que l’assassin se manifeste à nouveau ?
Nous convînmes pour finir que je témoignerais de ce que j’avais vu et entendu, mais que Jacques ne parlerait que d’une chute malencontreuse. Aux enquêteurs d’établir la vérité.
* * *
Le silence avait repris ses droits. Les coudes posés sur la tablette du secrétaire, je jouais avec le capuchon de mon stylo, dont je cassai bêtement l’attache. Je n’avais toujours rien écrit. Ce n’était pas faute de matière ; et j’avais un lecteur assuré. Je ne manquais pas non plus de carburant ; j’avais à peine touché à ma bière, une blonde de qualité.
Dans quelques heures, je signifierais mon accord au grimaçant. L’attentat contre Piéchaud avait emporté ma décision. J’acceptais donc de jouer les détectives. À vrai dire, j’avais commencé dès le soir du meurtre ; mais jusqu’alors j’avais gardé pour moi la plupart de mes réflexions.
Qui était mon mystérieux employeur ? Comme toujours, la réponse parut d’abord à portée de main ; puis elle se déroba, s’éloignant en proportion de mon acharnement à poursuivre ce qui ressemblait trop à un feu follet. Et, une fois de plus, ma déception fit bientôt place à l’étrange certitude que cette question n’avait qu’une importance secondaire, comparée à d’autres.
Pourquoi, par exemple, Ursule tenait-elle tant à me voir rester aux Sycomores ? Peut-être parce que j’y étais plus vulnérable qu’ailleurs. Pensée peu réjouissante, qui m’habitait depuis quelques jours, et s’était renforcée dans l’après-midi. Certains propos de Bouyou et surtout du faux inconnu m’avaient ouvert les yeux sur les causes profondes de mon malaise : ce n’était pas exactement la peur de déranger. Sauf à jouer sur les mots.
On allait me régler mon compte. L’image d’une toile d’araignée me hantait. Qui en occupait le centre ? Quand même pas Ursule ! Mais rien à faire : le doute s’était installé.