Le Sourire du Scribe, 27

Publié le par Louis Racine

Le Sourire du Scribe, 27

Le crime avait été commis entre le premier coup de sonnette de Dumuids et le moment où Estelle nous avait alertés. Pendant cette période, Georges et Estelle s’étaient chacun trouvés seuls assez longtemps pour tuer deux personnes. C’était peut-être vrai aussi d’Ursule, avant mon arrivée. Et les autres ? Piéchaud, par exemple. Je l’avais aperçu à Clermont, mais il avait pu partir dès huit heures et demie ; et cette crevaison qui l’avait empêché d’être aux Sycomores à l’instant fatal, est-ce que ça ne ressemblait pas à un alibi monté de toutes pièces ? Bien que cette hypothèse posât d’importants problèmes techniques, je ne voulais pas y renoncer trop facilement. De même pour les Mouzon. L’un d’eux pouvait être resté à Clermont et y avoir retiré de l’argent, pendant que l’autre s’introduisait en catimini dans la propriété ; puis, de nouveau réunis, ils avaient mis en scène leur arrivée. Piéchaud et sa roue récalcitrante, les Mouzon et leur ticket de distributeur : en somme les alibis, ou plutôt les faux semblants se confortaient mutuellement. Par analogie, j’envisageai la déplaisante possibilité d’une association Georges-Estelle.

Pas une de ces aimables personnes n’était donc tout à fait à l’abri d’une inculpation, même si, comme je continuais à le croire, le cycliste barbu était l’assassin. Car Bouyou avait fort justement souligné que la barbe pouvait être factice. Restait que le mobile du crime s’entourait du brouillard le plus épais. Là encore, je donnai raison à Bouyou. Il avait raison sur tous les points.

Soudain fatigué, je me laissai tomber sur un banc, tandis que passait une colonie de vacances. Les gosses me regardèrent comme une bête curieuse, certains rirent. Je devais avoir un look spécial. Une monitrice me dévisagea longuement avant de me tourner le dos. Elle avait reconnu ce Louis Racine dont certains journaux et même la télévision avaient publié la photographie. Et sa voix se fit plus autoritaire, tandis qu’elle pressait son groupe, de peur sans doute que je ne lui en dévorasse une partie. Mais je n’avais pas le cœur à m’amuser de ces niaiseries.

Je pensais à Estelle. Pourvu qu’elle ne fût pas coupable ! Et, si elle l’était, qu’au moins je fusse le seul à partager son secret !

Je me ravisai : mon bonheur dépendait de son innocence.

À chaque seconde je l’aimais davantage, et il me semblait la perdre un peu plus.

 

*    *    *

 

Je m’aperçus brusquement que quelqu’un s’était assis à côté de moi sur le banc et m’observait à la dérobée, un homme d’une quarantaine d’années, dont la physionomie ne m’était pas inconnue. Cette certitude s’accompagna chez moi d’un vif malaise, que ne suffisait pas à expliquer mon incapacité du moment à me rappeler où et quand j’avais déjà vu ce visage. Il n’y avait pas longtemps, j’en étais sûr. Au Fast’Hoche ? Non, plutôt aux Arsins. Un journaliste ? Je dus interrompre mes recherches pour répondre à la question qui venait de m’être posée.

– C’est bien moi, en effet ; vous me connaissez ?

L’homme eut un sourire qui me glaça le sang :

– Bien obligé.

Un fou, pensai-je. Il paraissait jouir de ma frayeur.

– Ne partez pas, dit-il comme je me levais – et sa voix s’était faite implorante. Il faut que je vous parle.

 

(À suivre.)

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