Treize vendredis, 11/13

Publié le par Louis Racine

Treize vendredis, 11/13

 

ODEUR

 

Franchement, ce n’est pas ton odeur le problème.

Bon, tout à l’heure, en rentrant, j’ai crié « Ça pue ! » et je me suis un peu emporté, mais tu comprends, dès que j’ai eu ouvert la porte, ça m’a sauté au nez, j’ai su que tu étais là, que tu étais revenu, que tu avais retrouvé ma trace, que j’allais encore devoir te supporter pendant des heures, des jours, des mois.

Des années, peut-être. Mon Dieu !

J’ai été naïf. Oh ! comme je l’ai été.

Deux ou trois verres bus avec ces gens que je connaissais à peine, non, soyons honnête, que je ne connaissais pas du tout, et j’étais rempli de confiance. Ce fond d’inquiétude qui clapotait en moi et me flanquait la nausée s’était évaporé comme par enchantement, j’avais le jarret ferme, le coude délié, l’œil caressant, la lèvre espiègle, le cheveu spirituel, l’oreille aux aguets mais prête à s’ourler délicatement aux accents du monde. Oh ! la belle ambiance qu’il y avait dans ce café. Une mosaïque de mosaïques, entre les petits miroirs tapissant les piliers, le carrelage mi-ciré mi-pané, au motif aléatoire, et la ribambelle tridimensionnelle des petits blancs, des petits jaunes, des perroquets, des camisards, et les tangos, les monacos, toute une nomenclature du bien s’enivrer ! Comment ne pas croire qu’enfin tu m’avais lâché pour de bon, que j’allais, en rentrant, pouvoir me faire chauffer mon petit frichti peinard en regardant la télé éteinte – je sais, tu voudrais que je la fasse réparer, mais dis, pas maintenant, hein, tu ne vas pas remettre ça sur le tapis ? Déjà que...

Où en étais-je ? Oui, donc, j’y ai vraiment cru.

Et tout à l’heure, oh ! ton odeur ! Juste ça, et je te jure, j’ai hésité. J’ai failli refermer la porte et partir, oui, foutre le camp, définitivement. Ton odeur ! Ton fumet, devrais-je dire ! Insupportable ! Mais ce n’est pas ça le problème ! Non, le problème, c’est toi ! C’est que tu reviens toujours ! Combien de temps tu m’as déjà laissé tranquille, hein ? Au maximum ? Une semaine ? Moins ! Beaucoup moins. Trois, quatre jours, je dirais. Quel bonheur ç’a été ! Quel bonheur ! C’est bien simple, je n’avais jamais été aussi heureux de ma vie. De ma vie, tu entends ? À tel point que je n’ai même pas éprouvé, pas un seul instant, le besoin de sortir ! Tout à disposition. À portée de main ! Et envie de rien ! Comblé ! Tout là, autour de moi, toutes mes joies, tous mes bons souvenirs, tous mes poèmes calligraphiés sur les murs, le portrait de Mona grandeur nature au rouge à lèvres sur la glace de l’armoire, les poupées, les peluches, tout le monde, mais toi, non, pas là ! Disparu ! Envolé !

Et puis, bon, j’avoue, j’ai eu soif !

Mais si tu faisais un peu les courses de temps en temps ! Hein ? Au lieu de me sécher toutes mes bouteilles, d’aller faire un tour ou de te planquer dans un coin et d’attendre le ravitaillement !

Hein ?

Bon, je me coucherai sans dîner.

Toi, tu fais ce que tu veux.

Essaie quand même, s’il te plaît, de sentir moins fort.

Moi, mon programme, c’est : t’ignorer.

Malgré l’odeur.

Zéro, tu n’existes pas !

No way !

Ne compte pas sur moi pour la conversation !

 

 

 

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Publié dans Treize vendredis

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Commenter cet article
K
Ça me rappelle un genre de chronique parue autrefois dans la revue Voix, mais impossible de retrouver le nom de l'auteur (et le numéro de la revue).
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L
Nessus Piètre parle de hasard mais je le soupçonne de dissimulation. Je vais me renseigner.
C
Grandiose! dans le - mauvais - genre.
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L
L'auteur appréciera...
M
Other, isn't it ?
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L
Aussi perspicace que matinal.e, dear !