Le Tube, 23B/27
23B. Isabelle Calmejane
Mercredi 5 avril 1989
– Tiens ! Monsieur Courtois ! En repérage, je me trompe ?
Denis-Orson, qui se demandait quoi répondre concernant l’origine de l’inscription, se retourna discrètement. Ainsi, ce gros homme était bien Nabil. Devant lui se tenait Changarnier, la moustache espiègle.
– L’inspecteur Changarnier sans son repoussoir ! Qu’avez-vous fait de monsieur Filali ? Vous paraissez tout nu.
– Il nous manque toujours plus ou moins quelque chose.
La femme assise en face d’Orson lui adressa un clin d’œil complice, qui semblait dire : Quel gaffeur, celui-là ! Il lui sourit machinalement. C’était l’heure de vérité. Changarnier allait-il le reconnaître, en dépit de son crâne rasé ?
– Puis-je vous offrir un verre, inspecteur ? Vous n’êtes manifestement pas en service.
– Avec plaisir.
Orson ne put s’empêcher de déplacer sa chaise, de manière à tourner le dos à l’arrivant.
– Ça n’a plus tellement l’air de vous intéresser, le grec ancien, dit la femme en refermant le calepin. C’était juste une méthode de drague, je suppose.
– Navré, dit Orson, je vous expliquerai.
La conversation entre les deux hommes était en train de lui échapper, d’autant plus que les clients d’une table proche s’étaient mis à rire bruyamment à quelque plaisanterie. Sur ces entrefaites, le garçon apporta les cocktails. Puis il alla prendre la commande du moustachu. Orson en profita pour calmer le jeu.
– J’aimerais écouter ce qu’ils disent, articula-t-il tout en trinquant.
Elle eut un air entendu.
– OK, James. Jouer les espions, autre méthode de drague.
Souriant malicieusement, elle rouvrit le calepin à la première page.
– Orson ! Incroyable. Votre vrai prénom, ou une couverture ?
Il fronça les sourcils. Pour le coup, c’est elle qui avait gaffé. Comment le lui faire comprendre ?
Ce ne fut pas nécessaire. La femme changea complètement d’expression. Puis elle se pencha vers lui.
– Pigé, murmura-t-elle.
Puis, toujours à voix basse, mais retrouvant le sourire :
– C’était trop drôle. Vous avez froncé les sourcils exactement en même temps, le dénommé Courtois et vous.
Aïe ! Nabil l’avait donc entendue. Changarnier aussi, probable. Il frémit, puis se rappela que pendant qu’elle parlait l’inspecteur parlait aussi. Avec un peu de chance...
– Et vous, comment vous appelez-vous ? Lui demanda-t-il, histoire de meubler.
– Isabelle Calmejane. Ne vous fatiguez pas, moi aussi j’adore mon nom.
– Calmejane, comme vos parents ? risqua-t-il, non sans lui rappeler par de nouveaux mouvements de sourcils son intention de perdre le moins possible de certaine conversation.
– Quel dragueur, décidément, mon cher... au fait, comment dois-je vous appeler ?
– Denis. Denis Boivin.
– Vous l’avez fait exprès ?
– Pardon ?
Il plissait le front à s’en faire mal. Elle eut un geste d’apaisement, et se concentra sur son dolce vita.
– Mais je ne vois pas ce que ça a d’illégal, disait Nabil. Regardez David Hamilton. À une époque on trouvait ses cartes postales dans tous les bureaux de tabacs. Et moi, je ne m’intéresse pas aux adolescentes. Tous mes modèles sont majeurs.
– À propos de bureau de tabacs... dit Changarnier.
Orson tendit l’oreille, ses yeux plongés dans ceux d’Isabelle.
– ... vous pourriez me conseiller en cigares ?
– Volontiers, inspecteur. Qu’est-ce que vous aimeriez savoir ?
– On m’a offert une boîte de Romeo n°1, en tubes ; qu’est-ce que ça vaut ?
– À l’achat, ou comme qualité ?
– Comme qualité, plutôt.
– Pas grand-chose, à mon avis.
– C’est codé ? chuchota Isabelle.
Orson décida de tout lui dire.
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