Le Tube, 18A/27

Publié le par Louis Racine

Le Tube, 18A/27

 

18A. Un aimable choc

Vendredi 10 août 1990

 

Pistolet au poing, mi-courant, mi-rampant, le Phénix longeait la haie en direction de la remise.

La bonne idée qu’il avait eue de lever les yeux de ce côté dans le dernier virage ! En voyant la porte grande ouverte, il avait pilé. Un réflexe malheureux, peut-être. Du moins la Jeep arrêtée en travers de la route gênerait-elle la fuite d’éventuels visiteurs motorisés.

S’ils étaient encore là.

Qu’avait-il pu se passer ? Hilaire bien sûr avait dû profiter de son absence pour aller taquiner leur pensionnaire. Tant mieux, à condition qu’il ne franchît pas certaines limites, en la détachant par exemple pour pimenter le jeu. Qu’elle se fût libérée toute seule, c’était impossible, il connaissait la solidité de ses liens, ayant pris soin de l’entraver lui-même. Une aide extérieure ? Qui ? La vieille folle du chalet d’en-dessous s’était rencoquillée ; plus un coup de fusil en trois mois. Avait-elle fini par porter plainte, comme elle l’en menaçait depuis toujours ? On ne perquisitionne pas chez les gens comme ça. Restait la fille qui venait la voir de temps en temps. Sa voiture était là. Hum ! Tout paraissait tranquille là-haut, mais ça ne prouvait rien. Sinon que les fidèles dormaient encore. C’était ce qu’ils pouvaient faire de mieux.

Il se trouvait maintenant en contrebas de la porte, n’en étant séparé que d’une vingtaine de mètres – de terrain découvert. Aucun bruit ne lui parvenait de l’intérieur de la remise. Seule s’en échappait une odeur atroce, visqueuse, collante, insoutenable pour tout autre que lui. Hélas ! la fête risquait d’être gâchée.

Il vérifia que le cran de sûreté de son arme était débrayé. Il le savait bien pourtant. Cette nervosité n’avait rien de bon. Il respira profondément, régala l’autre-en-lui d’une riche nourriture. Se calmer. Réfléchir.

Se soulevant de quelques centimètres, il distingua dans l’encadrement de la porte béante un pied de la table renversée. C’était ce qu’il avait craint. Hilaire avait dû vouloir s’amuser avec la fille, sans mesurer à qui il avait affaire. Il l’avait pourtant mis en garde. Encore un qui se prenait pour un génie. Comme mécanicien, il n’avait pas son pareil. Comme complice de divertissements raffinés, il était passable. Mais comme second, il ne valait rien. Vivant, mort ou agonisant, il ne fallait plus compter sur lui. Seulement lui trouver un remplaçant.

Bon, inutile de rester là. La partie se jouait ailleurs.

Imaginons. Le petit chaperon échappe à son unique gardien, voire l’élimine. Étape suivante ? L’opération portes ouvertes continue ? Une trentaine de semi-cadavres s’enfuient dans la montagne ? Pas de danger. La veille, il avait justement renforcé la dose, tant les pauvres loques avaient été excitées par le spectacle.

Le Phénix saisit donc une large pierre plate dont il se protégea la tête tandis qu’il traversait dare-dare l’agora jusqu’à la façade de la maison. Là, rasant le mur, il parvint à la porte d’entrée. Il jeta la pierre au milieu de la cour et guetta une réaction. Rien. Il se rua dans la maison, braquant son arme devant lui. Personne. Pas un bruit que les ronflements des sous-merdes. Pourtant... Pourtant ?

Il percevait, venant de l’étage, comme une plainte ; on eût dit des pleurs d’enfant reproduits à une vitesse plus lente.

Les yeux brillants, il monta lentement l’escalier, et eut un aimable choc en découvrant la scène.

Sur le plancher de la première chambre était étendue Corine, nue, le cou ensanglanté, un genou horriblement tuméfié. À l’évidence, elle luttait contre la mort. Qui l’avait mise dans cet état ? Le Phénix alla jeter un œil dans le vestiaire et dans les autres pièces. Personne. Ils étaient tous les deux seuls à l’étage.

– Hilaire ? cria-t-il dans l’escalier.

Pas de réponse.

Il exultait. À supposer qu’il ne puisse ranimer la blessée – suffisamment pour qu’ils profitent à plein, elle et lui, de l’interrogatoire –, la perspective d’opérer sur une victime inconsciente n’était pas sans séductions.

Dominant sa propre ferveur, en gourou digne de ce nom, il s’approcha. Il faillit éclater de rire devant cette nudité barbouillée, mais sa gaieté redoubla au spectacle des petites mains passionnément refermées sur la hampe d’une lance de fortune.

– Mais c’est la fiancée de Rahan ! gloussa-t-il. On cherchait les urgences ! On a de la veine que le docteur Phénix soit passé par là.

Il allait s’approcher encore, quand il fit un bond en arrière.

– Tu me prends pour un imbécile ? cria-t-il d’une tout autre voix.

Alors il entendit grincer l’escalier.

 

Demain : Fou de jazz

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