Le Tube, 17A/27
17A. On dirait moi
Vendredi 10 août 1990
Foin de l’héroïsme et du colonel : il fallait décamper en vitesse. Ou plutôt il eût fallu : Corine était incapable de courir et marchait difficilement, même avec le soutien de sa lance.
Désemparée, elle cherchait des yeux une cachette, en vain. Elle refusait pourtant de céder au découragement. Avoir triomphé d’Hilaire dans la situation où elle se trouvait, et renoncer maintenant qu’elle était libre, ça non ! Il est vrai qu’elle avait bénéficié d’une aide inespérée, mais la providence ne pouvait-elle se manifester à nouveau ?
Un bruit dans la cour l’avertit de la présence du Phénix. À moins d’une ruse.
Une ruse ?
En fait de providence, c’est une illumination qui lui vint.
La solution lui apparaissait avec la clarté d’une séquence de film.
Elle avait quelques secondes pour se préparer. Cela lui suffisait amplement.
Elle tâta la pointe de sa lance. Un peu émoussée par son récent échec, mais pas inoffensive.
Elle s’entailla le lobe d’une oreille. Le sang jaillit. Elle s’en barbouilla le cou et le genou, désormais tout à fait grandguignolesque.
Un chef-d’œuvre. Elle lui sourit avec tendresse.
Elle souriait encore en entendant le Phénix entrer dans la maison.
Axel souriait. Il ne comprenait pas pourquoi, mais il souriait. Il souriait d’autant plus qu’il savait que bientôt il comprendrait. Une idée avait dû lui traverser l’esprit comme un de ces oiseaux qui signalent la proximité d’une terre.
Quelle était la question, déjà ?
L’eau ?
Mais, de l’eau ! – il se leva, ayant soudain recouvré tout son allant – il y en avait forcément sur cette île. Le tout était de la chercher. Pas de temps à perdre. Surtout s’il voulait encore sauver son compagnon.
Le corps exhumé attendrait ; les vivants d’abord. Il le recouvrit rapidement de sable, histoire de le protéger contre les charognards, et glissa le tube dans sa poche. Ça non plus, ça ne pressait pas ; et puis rien ne l’empêcherait de réfléchir à cette énigme tout en menant sa quête. Il avait réussi à déchiffrer quelques mots, c’était un début. Même si ces bribes lui restaient incompréhensibles, l’ensemble lui disait vaguement – très vaguement – quelque chose. Ainsi, il aurait de quoi se tenir compagnie ; il explorerait sa mémoire en même temps que les environs.
Il s’agenouilla près du moribond et lui chuchota à l’oreille : I’m going to get some water. Je vais pour chercher de l’eau. L’autre paraissait dormir ; cependant, il lui sembla voir ses lèvres esquisser un sourire. Il se releva. Surtout, se garder des mirages.
Avec des palmes, il lui tressa un écran pour l’abriter du soleil et du vent. Puis il récupéra un fragment de l’enveloppe de Fafnir II et s’en fit un genre d’outre. Enfin, il prit sur un des cadavres un pistolet et des munitions.
Ainsi équipé, il s’enfonça dans la forêt.
– C’était Mo. Furieux.
– Ils nous gonflent ces homos.
– T’as pas toujours dit ça.
– Tu penses au one shot avec Solveig ? T’aurais bien aimé être là, hein ?
Margot s’était levée. Ils plaisantaient tout en s’habillant, évoluaient et se frôlaient selon une savante chorégraphie entre la penderie, le cabinet de toilette et le lit, sur lequel ils se croisaient tantôt en roulant, tantôt à genoux, tantôt même debout, à se demander si ça n’allait pas dégénérer en bataille de polochons, mais, déjà qu’ils étaient en retard, ça n’aurait pas été raisonnable.
– N’empêche, dit Jean, je me demande ce qu’elle est devenue.
– Jamais revue depuis la Bretagne. Elle nous a écrit au club, tu te rappelles ?
– C’est comme ça que j’ai découvert que vous la connaissiez. Elle me l’avait pas dit.
– Tu lui dois beaucoup. Et moi aussi. Et le groupe.
– Je sais. Elle m’a branché sur Nabil au bon moment. J’ai jamais compris, d’ailleurs.
– Quoi ?
– Cette sollicitude à mon endroit.
– C’est vrai que ton endroit ne devait guère l’intéresser.
– Quel humour !
– Tu m’as tendu la perche.
– Go, t’es vraiment con. On dirait moi.
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