Sauve, 27

Publié le par Louis Racine

Sauve, 27

 

CAHIER VERT

 

Samedi 24 juin 2006

Ça m’apprendra à faire ma maligne.

Ce matin je suis crevée, j’ai dû reprendre un doliprane au milieu de la nuit. Quand même, j’y vois. Ça va être limite pour conduire, mais j’irai doucement. Et puis je n’ai pas beaucoup de route ! Ce qu’il y a c’est que je ne suis pas présentable. Tant pis. Je me maquillerai comme je pourrai (pas facile avec à peine un œil !), et en avant !

 

Alors là !

Rude journée.

Il est dix heures du soir. Je suis assise devant la fenêtre de ce qui pourrait être ma chambre d’une nuit, face au soleil couchant. Plus de problème de vue (quoique monoculaire), c’est toujours ça. Il faut avouer que je n’ai pas eu tellement le loisir de m’en soucier.

La maison a été facile à trouver. Elle se voit de loin, et j’ai aussitôt pensé : « C’est là. » En approchant, j’ai baissé ma vitre et j’ai bien senti un reste d’odeur de brûlé. Mais la meilleure confirmation, je l’ai eue en découvrant le grillage éventré. J’étais en train de me dire que j’allais devoir faire un détour, la maison étant tout près de l’autoroute mais loin de la sortie. En fait, il y a là une voie de service normalement fermée par un portail grillagé. Je ne sais pas avec quoi, mais Louis a détruit l’obstacle ! Sans prendre de gants, c’est clair ! Travail de sagouin. Mais efficace !

Déjà, donc, j’éprouvais comme une appréhension. Je ne m’attendais pas à une telle violence. Je n’étais pas au bout de mes inquiétudes.

De là où j’étais, je pouvais voir, en haut de la rampe d’accès, une aire déserte devant le portail de la maison grand ouvert. Je distinguais aussi les fenêtres de l’étage supérieur. Les volets n’étaient pas fermés. J’ai décidé de me manifester sans quitter la voiture, pour pouvoir fuir rapidement si nécessaire.

J’ai donc klaxonné, longuement, tout en surveillant les fenêtres et le portail.

Rien.

Il dormait peut-être, malgré les volets ouverts. Ou il était sorti. Ou parti.

J’ai attendu quelques minutes, puis j’ai recommencé. Je surveillais en même temps l’autoroute. Il valait mieux avoir retrouvé la vue !

Comme rien ne se passait, j’ai fini par descendre de voiture. Quelque chose m’a aidée, c’est l’attitude de Titus, très calme. Mais ça a été plus fort que moi, j’ai pris mon pistolet, chargé, en état de marche. Sur le devant, la maison était bordée d’un mur hérissé d’une grille. Je l’ai longé jusqu’au portail, sans devoir trop me baisser, grâce à la profondeur du fossé, et je me suis arrêtée tout essoufflée.

L’odeur de brûlé était maintenant très présente. En revanche, pas un bruit. J’ai passé la tête par-dessus le mur.

Devant la maison, au beau milieu d’un terre-plein sableux, un grand tas de cendres fumait encore. À l’arrière-plan, un garage, fermé.

Quand j’ai été suffisamment convaincue qu’il n’y avait personne, je me suis mise debout et j’ai franchi le portail.

Je me suis approchée des cendres, avec une certaine répugnance. Elle s’est muée en horreur quand j’ai aperçu les restes d’animaux. De chiens, en fait. De plusieurs chiens, au moins quatre. J’ai pensé à Titus dans la voiture. Pour linstant le spectacle lui avait été épargné.

Avant de saisir toute la portée de cette première découverte, j’ai commencé à faire le tour de la maison. La clé du garage était restée sur la serrure, Louis avait dû le visiter. Ça m’a rappelé mes indélicatesses chez les Anteaume. À l’intérieur, il y avait une voiture immatriculée 03. Il s’en était peut-être servi, mais il avait gardé son break.

La porte arrière de la maison n’était pas verrouillée. J’ai hésité un moment, puis je suis entrée. J’ai crié : « Y a quelqu’un ? » Au son de ma propre voix, j’ai eu un petit rire nerveux. Pourtant, jétais morte de trouille.

Pas de réponse.

La visite des lieux m’a appris que Louis y avait passé plusieurs jours et venait d’en partir, pour longtemps peut-être, car rien de ce qui s’y trouvait ne ressemblait à l’idée que je pouvais me faire de son bagage.

En revanche, il a laissé des traces éloquentes.

Des provisions aussi, qui ont agrémenté mon dîner.

Je reporte à demain le compte rendu détaillé de mes investigations. Ce que je peux dire ce soir, c’est que je suis passée par des sentiments opposés. Tantôt Louis m’apparaissait comme un type infréquentable, tantôt j’aurais eu envie de le prendre dans mes bras. Ou encore qu’il le fasse. Et même qu’il aille plus loin. Mon Dieu, je ne sais plus, je ne sais plus rien. De moi, je veux dire. J’ai l’impression que j’ai fait tout ce chemin pour devenir ma propre énigme.

Où dormir ? J’ai le choix entre tant de lits ! Pourquoi entrerais-je spécialement dans celui qu’il a fait sien ? Mais comment résisterai-je ? Et s’il revient dans la nuit et me trouve entre ses draps ?

N’est-ce pas ce que je souhaite de tout mon cœur ?

Monsieur Louis, vous occupez le lit d’une adolescente, vous vous masturbez sur des dessous qui n’en valent pas davantage en écoutant du Bach, vous brûlez des chiens, leurs cadavres j’espère, sur des bûchers de chaises Roche Bobois en buvant du champagne, avec les os noircis vous écrivez des poèmes sur les murs des gens, dans leur salon, dont vous avez fait votre salle à manger, une baraque foraine et une poubelle, vous n’êtes vraiment pas mon genre, et pourtant, monsieur Louis, je veux et je crois pouvoir faire quelque chose pour vous.

 

(À suivre.)

Publié dans Sauve

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