Sauve, 26

Publié le par Louis Racine

Sauve, 26

 

Vendredi 23 juin 2006

Ce qu’il me faudrait, c’est une carte avec des courbes de niveau.

Louis (qui d’autre ?) a choisi une position élevée, comme moi du temps où je croyais encore utile de signaler ma présence. Lui apparemment n’a pas renoncé.

Je ne voudrais pas le décevoir !

Franchement, je ne me reconnais plus. Déjà, depuis que je me suis lancée sur sa piste, j’étais en permanence partagée entre deux options contradictoires : me dépêcher de le rattraper avant qu’il ne m’échappe, ou prendre mon temps, de peur de laisser passer des indices. Hier c’était pire : je n’arrivais pas à me décider entre partir tout de suite sans emporter mes affaires (ce qui m’obligerait à revenir les chercher) et les transborder d’emblée dans la camionnette (ce qui supposait que je surmonte mon dégoût). Certes, Louis n’a pas l’air si mobile que ça, mais j’ai encore perdu de longues heures à chercher une nouvelle monture, jusqu’à ce que je découvre et « emprunte » un chouette monospace qui rend la remorque inutile et où je viens de passer une nuit reposante ! J’ai d’autant mieux dormi que j’étais parée question logistique et que la lumière était au rendez-vous.

Dès qu’elle est apparue, je me suis mise en route, mais le relief me l’a bientôt masquée. Puis je l’ai revue, mais assez vite elle s’est éteinte, ou un nouvel obstacle s’est interposé, impossible à savoir. Je me suis lassée de cette partie de cache-cache. Mieux valait reprendre des forces. Ce matin, je suis au top.

Il va faire chaud. Mais là, j’ai la clim’ ! Allez, Titus, attache ta ceinture, on est partis !

 

Lecteur de CD haut de gamme. Bizarrement, je n’ai pas envie de musique. Pas tant à cause de ce sentiment d’exclusion qui souvent me gâche le plaisir, mais parce que j’ai peur que ça me déconcentre, et, plus irrationnel, que ça m’empêche d’entendre Louis. N’importe quoi. Mais c’est ainsi.

Je pense avoir repéré l’endroit sur la carte. C’est au nord de Montmarault, probablement à gauche de l’autoroute, qui laisse la ville sur sa droite. J’avance à pas de loup. À chaque sommet de côte, je m’arrête, je descends de voiture, j’observe le pays aux jumelles. J’ai décidé de prendre ma journée ! Ça tombe bien, avec ce temps magnifique !

L’idée est de m’arrêter ce soir à un endroit d’où je domine la campagne. Si mes calculs sont bons, je serai tout près de la source lumineuse et en mesure de la localiser avec précision. Le tout est de ne pas la dépasser !

Et si elle avait eu la bonne idée, elle, de prendre la tangente ? Non, non, pas de ça. Tu ne bouges pas, hein ? Tu mattends.

Comme c’est excitant de progresser ainsi lentement mais sûrement, avec en outre la certitude d’approcher du but, mieux que ça, de la solution de l’énigme et, je l’espère, de la fin de mon cauchemar ! J’évite de trop penser à ce Louis, à l’accueil qu’il va me faire, de trop anticiper notre joie, il va falloir y aller prudemment, pas question de me découvrir sans préambule, les coups de klaxon ce n’est pas mal, je pensais aussi mettre de la musique, non plus preuve de solitude mais promesse de réunion, bon, on n’y est pas.

Mais presque !

J’ai beau connaître les dangers de la présomption, je n’arrête pas de me le répéter, autant l’écrire carrément :

C’EST POUR CE SOIR !

Mon Dieu, faites que je ne pèche pas par excès de confiance !

 

Catastrophe ! Je n’y vois plus !

Pendant que je regardais aux jumelles, une guêpe sournoise comme c’est pas permis s’est approchée de ma tempe, près de mon unique œil valide, j’ai eu un mauvais réflexe, elle m’a piquée, et maintenant j’ai toute la moitié gauche du visage enflée, j’ai eu peur d’une réaction plus grave encore, mais ça s’est stabilisé, simplement je ne vois plus grand-chose, je me suis soignée mais il va falloir attendre que ça passe, tout ce que je peux faire à part écrire à l’aveuglette c’est me reposer, pas question de conduire ni d’examiner le paysage, de toute façon mon œil donnait des signes de fatigue, avec tout ce que je lui demande depuis des semaines, ce n’est peut-être pas plus mal ce contretemps, c’est juste vexant, et douloureux. Qu’une petite bête de rien du tout réussisse à en paralyser une grande, même de pas grand-chose, ça me démonte.

Do, do, doliprane, et do, do, dans l’auto

bien fermée, non mais ! Salope de guêpe !!!

 

Sieste écourtée ! Horrible cauchemar, que j’ose à peine évoquer : j’ai les yeux bandés et je gravis une espèce d’escalier, il y a beaucoup de monde autour de moi, une foule plutôt joyeuse, je comprends à certaines réflexions que je suis en train de monter sur un bûcher où je dois être sacrifiée, on m’attache à un poteau, on me retire mon bandeau et c’est toujours le noir total, j’ai dû perdre mon autre œil, me dis-je, mais je perçois nettement l’odeur du bois brûlé, et je commence à brûler à mon tour, et je m’en étonne parce que je ne ressens rien de particulier, sauf que l’odeur devient insoutenable, et je me réveille.

J’étais allongée sur la banquette arrière du monospace, Titus à côté de moi sur le plancher. Il m’a fallu un moment pour reprendre mes esprits, après quoi j’ai été brusquement saisie d’un malaise très différent : ça sentait effectivement le brûlé. D’où mon rêve, sans doute, et mon réveil.

Ça ne venait pas de la voiture, pourtant bien fermée, mais j’ai l’odorat subtil et l’air du dehors pouvait entrer par les trappes d’aération du tableau de bord. Je suis sortie, et j’ai nettement senti l’odeur d’un feu, sous forme de bribes ténues, fugaces. Ma paupière avait un peu désenflé, mais pas au point de me rendre l’usage de mon œil, et, si une fumée s’était élevée dans le paysage, j’aurais été incapable de la repérer. Pas de chance, vraiment !

Ça ne sentait pas bon. Aucun rapport avec un feu de broussailles, un feu végétal. C’était autre chose. Sur le coup, ça m’a rassurée, parce que je gardais un souvenir atroce de l’incendie de la forêt de pins à Saint-Jean-de-Monts. Je me suis alors rendu compte qu’on était le 23 juin, la veille de la saint Jean ! Bon, simple coïncidence. Dommage quand même de ne pas pouvoir localiser ce feu.

J’étais convaincue qu’il était lié à la présence de Louis dans les parages, tout près peut-être. J’ai été tentée de recourir au klaxon, et au dernier moment j’ai changé d’avis. Je crois que c’est cette odeur, franchement curieuse. Je n’ose pas parler de barbecue, parce que c’était nettement moins appétissant. Mais rien à voir avec un feu de mauvaises herbes. Et aussi je ne me sentais pas prête à rencontrer Louis dans mon état. Je préférais attendre d’avoir un peu recouvré la vue. Je n’ai pas l’intention de passer ma vie sur cette portion d’autoroute, mais je peux bien attendre encore un peu. J’ai donc décidé de consacrer ce délai à l’entretien de ma condition physique et psychique.

Ce soir, l’odeur a totalement disparu de l’air ambiant, même si elle s’attarde un peu dans mon crâne. J’ignore si une lumière brille quelque part aux alentours. Pas de lune en  tout, cas. Les étoiles, je me contente de les deviner. Je vais me mettre de la pommade à l’arnica, me relaxer, essayer de bien dormir et demain ça ira mieux.

 

(À suivre.)

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