Sauf, 25
L’arrivée à Najac : comme ce fut émouvant !
Ça ne fait pas une demi-heure, mais passé simple quand même. C’est ça, la liberté.
Le village s’est modernisé, forcément, depuis trente ans que je n’y étais pas retourné. Et anglicisé, semble-t-il. Mais il a conservé son charme spécifique. Il devait y faire encore bon vivre, pour les vacanciers mais aussi pour les autres.
La maison est toujours là. Pas question de m’y installer, ou pas encore. Je ne veux même pas en parler, y penser. J’ai juste vu qu’elle avait été agrandie du côté de la vallée. Par les mêmes propriétaires : c’est toujours leur nom sur la boîte aux lettres, qui, elle, a changé. Elle est aux normes, maintenant.
Mon idée logement : essayer toutes les chambres de l’Oustal du Barry (ex maison Miquel) ; à défaut du vivre, j’aurai au moins le couvert (quelle misère : je n’aurai jamais mangé chez Bras ! ça m’a presque terni le passage par Laguiole).
L’Oustal, cave somptueuse.
Un peu d’arithmétique : il me reste au maximum une quarantaine d’années à vivre ; une bonne gestion des stocks devrait me permettre de boire du bon (et même, du meilleur chaque année) jusqu’à la fin de mes jours.
Pour le reste de mon alimentation, je me rends compte que j’ai été nul.
Ce qu’il aurait fallu faire :
descendre tout de suite à Najac (au plus tard le surlendemain de la Disparition) ;
reprendre une ferme, sauver les animaux qui pouvaient l’être ;
organiser ma survie à long terme ; agriculture et élevage, les deux mamelles ; apprendre à devenir un vrai paysan ;
Je suis vraiment con. Je n’ai pensé qu’à moi ; mais, même comme égoïste, je ne vaux rien.
Sentiment d’un énorme gâchis.
En me relisant l’autre jour, j’ai été frappé par une formule dont je me souviens que je ne l’avais pas écrite sans mauvaise conscience : « j’aimerais vous y voir ».
Deux commentaires :
et d’abord un troisième :
à quoi ça rime de s’adresser aux absents ?
sinon :
Primo, un jour où j’accompagnais Julia et Séverin à l’école, devant l’entrée un père me tendit un tract que j’identifiai aussitôt comme réclamant le rétablissement de la peine de mort ; c’était à la fin des années 80, l’époque était spécialement fertile en affaires de pédophilie (le mot se répandit à cette occasion) ; je refusai, poliment mais fermement, le tract. Le père alors se fâcha, et me dit : « J’aimerais que ça arrive à vos gosses, on verrait ce que vous diriez. »
On ne pouvait pas mieux se déconsidérer. Mais ce n’est pas de ce pauvre abruti que je voulais parler.
C’est de l’autre. Depuis, je ne devrais pas une seule fois avoir été ne fût-ce que tenté de recourir à sa rhétorique.
Secundo, s’agissant de la catastrophe présente, d’autres à ma place auraient mieux honoré l’espèce humaine.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui.
Bérénice, Marine, Angéline, je suis désolé.
28 juin
Beaucoup de personnes âgées ici. J’éviterai leurs maisons. Je crains les prothèses sardoniques.
Plus le temps passe, moins je crois à une réapparition. J’en ai envisagé toutes les modalités. Je me réveille un matin, comme aujourd’hui, tout le monde est revenu. Ou bien seulement les enfants. Ou les vêtements. Ou telle partie du corps, etc.
Le projet d’Auberger comprenait le dévoilement progressif d’un mystérieux visiteur (la Mort). Au début, le personnage principal ne voyait que ses pieds, incapable de lever les yeux ; puis, progressivement, en sept étapes, le récit se déployant sur sept journées, son regard remontait jusqu’au visage. J’ai oublié ce qui se passait le septième jour, mais j’imaginais un film très bergmanien, tout en déplorant à part moi de ne pouvoir prendre davantage au sérieux une entreprise qui m’évoquait plutôt une parodie à la Woody Allen, en moins drôle.
Auberger, Bergman. Je n’avais jamais remarqué. Aucun intérêt.
Qui que ce soit, quoi que ce soit qui réapparaisse, je redoute ma réaction. Ce serait violent. Je risque de succomber à l’émotion. Je me rappelle un jour où, adolescent, j’étais seul à la maison. C’était l’été, je travaillais le jour pour gagner quelques sous et la nuit buvais du café. Mes parents étaient partis en vacances, emmenant mon frère et mes sœurs. L’animation de l’immeuble et de la ville avait atteint son plus bas niveau. J’étais assis dans la cuisine, un dimanche, le regard dans l’axe du couloir menant aux chambres, dont celle, au fond et à droite, où mon père avait installé son atelier. Quelqu’un fit mine d’en sortir, puis rentra.
J’ai cru mourir de frayeur. Le mouvement s’est reproduit plusieurs fois, accompagné du même petit bruit sec, avant que je trouve assez de courage pour me lever et aller voir.
Simple oubli. Quelques jours plus tôt, j’avais suspendu une chemise sur son cintre à la poignée de porte de l’atelier. La porte était entrouverte, comme la porte-fenêtre sur le balcon, d’où le courant d’air animant la chemise, d’où mes illusions. Aujourd’hui j’ai peine à croire que j’aie pu être aussi lent à retrouver mes esprits. Je sais seulement que ma peur était bien réelle, et inoubliable, la preuve.
Anékhou adore cet hôtel. Je vais l’y laisser enfermé le temps d’explorer un peu les environs. Il a tout ce qu’il lui faut.
Quant à moi, le foie gras maison au petit déjeuner, sur les krisprolls de Rodez, avec une giclée de confiture de figues, ça m’a mis en joie.
Magnifique coucher de soleil. Je suis monté prendre l’apéritif sur la terrasse de l’ancienne gendarmerie (devenue maison Authesserre). La DS de Lacamp est garée devant le dépôt de pain (autrefois la mercerie Jolfre).
Quelle voiture ! Amoureusement entretenue ; toujours couché garage. Des reprises étonnantes pour son âge. J’adore le levier de vitesses. Freinage peu sûr, direction dure mais précise ; tenue de route de sous-vireuse typique, ça change de la Maserati. J’adore aussi les clignotants arrière ; celui de droite ne s’éclaire pas ; voir si Lacamp a des ampoules en stock. Autant s’occuper inutilement.
Belle région. Villages aux noms charmants : La Salvetat ceci ou cela, Paladuc, Mirandol, Bor-et-Bar (Bor en haut, Bar en bas ; à quel néophyte enseigner cela désormais ?).